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Un nouveau levier philanthropique, la cession/transmission de titres

Apprentis d’Auteuil organisait, le 24 janvier dernier, un petit-déjeuner débat sur le levier philanthropique que constitue l’apport de titres lors de la cession ou de la transmission d’une entreprise. Xavier Delsol, avocat fiscaliste, Fabrice Luzu, notaire, et Crama Trouillot du Boÿs, cofondatrice et présidente du fonds de dotation Impala Avenir, ont éclairé les participants sur ce levier encore peu connu des philanthropes. Explications.

Ces dernières années, la multiplication des fonds et fondations témoigne d’un fort développement de l’engagement philanthropique en France. Ce mouvement s’accompagne de l’émergence d’une nouvelle génération d’entrepreneurs plus engagés et plus sensibles aux enjeux environnementaux et sociétaux.

Fin 2016, une famille d’entrepreneurs a choisi de créer une fondation abritée par la Fondation d’Auteuil en lui apportant des titres de son entreprise. En pratique cependant, de nombreux chefs d’entreprises ou cadres dirigeants se posent la question de leur engagement philanthropique une fois qu’ils sont en possession d’une importante somme d’argent, après avoir rendu liquides leurs participations.

Le rôle des conseillers patrimoniaux, banquiers, avocats et notaires est dès lors important, car plus le projet philanthropique est anticipé, plus les avantages sont importants pour le donateur et pour l’organisme bénéficiaire et plus l’impact est fort pour l’intérêt général. Si les formes d’action ne manquent pas – don de titres en pleine propriété, donation temporaire d’usufruit ou donation en nue-propriété – différents degrés d’engagement sont également envisageables.

Donner ponctuellement des titres à un organisme d'intérêt général

Il peut s’agir d’un don de titres ponctuel réalisé, par exemple, par un cadre dirigeant au moment de son départ à la retraite. C’est une donation classique, mais il faut néanmoins avoir en tête quelques points de vigilance pour sécuriser l’opération :
- penser à mesurer l’importance de cette donation par rapport au patrimoine du donateur ;
- vérifier sa capacité, sa situation familiale et son régime matrimonial ;
- pour la sécurité des deux parties et parce que le don de titres s’accompagnera souvent de conditions et de charges,  préférer un acte notarié (s’agissant de titres de sociétés de personnes ce formalisme est d’ailleurs obligatoire) ;
- vérifier que le projet est partagé par les enfants : il est souhaitable de prévoir une renonciation anticipée à l’action en réduction (RAAR) en faveur des libéralités (y compris futures) consenties à la fondation.

Attention cependant, il ne s’agit pas d’une renonciation à la réserve héréditaire !
La donation temporaire d’usufruit (DTU) est dans un premier temps un bon moyen de tester sa relation avec une fondation car les titres ne sortent pas définitivement du patrimoine du donateur, ils pourront être récupérés pour en faire don à un autre organisme sans but lucratif ou pour les transmettre à ses enfants. En pratique les DTU sont consenties pour des durées allant de 3 à 10 ans ; légalement elles ne peuvent excéder 30 ans. Elles permettent donc à une fondation de flécher les revenus qui en découlent vers des projets de moyen voire long terme. L’avantage de la DTU est aussi de sortir le bien de l’assiette de l’ISF, pendant toute la durée de la donation temporaire. Lorsque le don porte sur un portefeuille de titres, le principe d’universalité s’applique : la fondation bénéficiaire peut gérer les titres qui le composent tant qu’elle ne porte pas atteinte à la substance du portefeuille. Il est dès lors utile de convenir d’un reporting régulier auprès du donateur, voire de le faire participer aux comités de gestion.

Créer une fondation actionnaire

Sûrs de leur projet philanthropique et soucieux par ailleurs d’anticiper la transmission de leur entreprise et d’en assurer la pérennité, quelques philanthropes, ils sont encore rares, choisissent de construire un projet de fondation actionnaire. La fondation détient alors sinon la majorité des titres, au moins une minorité de blocage dans l’entreprise. Des réticences subsistent du côté des pouvoirs publics – une fondation sait-elle gérer une entreprise, cela ne risque-t-il pas de venir polluer sa mission d’utilité publique... – et seuls quelques exemples sont aujourd’hui dénombrables dans le paysage français des fondations. Ils devraient néanmoins se multiplier dans les années à venir. En attendant, rien n’empêche de transmettre la totalité des titres d’une entreprise à un fonds de dotation à condition que d’autres placements y soient associés afin de respecter les recommandations du Comité stratégique des fonds de dotation en matière de dispersion des placements. Il sera possible d’envisager, plus tard, une transformation du fonds de dotation en fondation reconnue d’utilité publique. Si le fonds de dotation offre une plus grande souplesse et une plus grande autonomie, à la mort du fondateur, la présence d’un représentant de l’Etat dans la gouvernance de la fondation reconnue d’utilité publique garantira son projet philanthropique dans la durée. Le fonds de dotation n’est par ailleurs pas éligible aux dons ISF.

Financer une cause d'intérêt général dans la durée

Un projet philanthropique de long terme ne passe cependant pas forcément par le modèle, complexe, de la fondation actionnaire. A l’occasion de la cession ou en vue de la transmission de son entreprise, un chef d’entreprise peut choisir de doter une fondation abritée, une fondation RUP ou un fonds de dotation de titres qui assureront son fonctionnement et accompagneront ses projets sur le long terme. Ce fut le choix de Crama Trouillot-Du Boÿs et de son mari, lorsqu’ils ont créé il y a trois ans, le fonds de dotation Impala Avenir. Avant de céder leur entreprise, ils ont bénéficié des conseils d’un expert de la gestion patrimoniale de la banque d’affaires mandatée pour la cession. A travers leurs échanges s’est très rapidement dessinée l’opportunité de concevoir un véhicule de philanthropie qui prendrait le relais de leurs actions de générosité, le couple étant donateurs historiques de plusieurs ONG. Forts de cette envie d’agir directement,  c’est en confiance qu’ils ont fondé avec le notaire un fonds de dotation, doté de titres de l’entreprise dont la valeur assurerait son autonomie de fonctionnement pour cinq ans. A l’instar d’un pacte d’actionnaires, la donation s’accompagnait d’un engagement du fonds de céder les titres au futur cessionnaire de l’entreprise.
Pour se libérer de la gestion administrative et se concentrer conformément à ses aspirations sur la sélection de projets de solidarité internationale, le couple a rapidement choisi de créer une fondation sous égide de la fondation Caritas France. Outre les services de gestion proposés et la possibilité de faire appel aux dons bénéficiant d’une réduction ISF, la fondation abritante accompagne également la fondation Impala Avenir dans la sélection  de ses projets. Notons enfin que, dans le cadre d’une transmission d’entreprise, une RAAR en faveur du fonds ou de la fondation n’est pas possible lorsque les enfants du dirigeant philanthrope sont encore mineurs au moment de la donation. Il est néanmoins possible d’envisager une donation-partage qui sera fondée sur la valeur de l’entreprise au jour de la donation.