Témoignages

Ludovic Fouasnon, rebondir après l'échec

À 33 ans, Ludovic Fouasnon est agent de maîtrise à la Ville de Paris où il encadre une vingtaine de jardiniers sur le Champ de Mars. Une réussite professionnelle qui cache un parcours scolaire chaotique marqué par l'échec dont le jeune homme a fini par se sortir. Avec courage. Portrait.

Sur les pelouses du Champ de Mars, situées au pied de la tour Eiffel, Ludovic Fouasnon a l’œil sur tout. Loin de lui l’envie de se prélasser au soleil comme les milliers de touristes qui arpentent le lieu. Car Ludovic travaille. Une branche cassée. Une pelouse qui jaunit. Un grillage qui s’affaisse. Rien ne doit lui échapper. Depuis le mois de janvier, cet ancien de la fondation a été promu agent de maîtrise adjoint sur ce site emblématique des parcs et jardins de la Ville de Paris. « Mon secteur va du champ de Mars jusqu’au jardin du Quai Branly, explique-t-il. Je fais le tour du site plusieurs fois par jour pour noter tout ce qui ne va pas. Je demande ensuite à mon équipe de jardiniers (qui compte près de 20 personnes, ndlr) ou au service technique de la Ville d’intervenir. Travailler au pied de la tour Eiffel, c’est exceptionnel ! Même si c’est un site difficile à gérer compte tenu de l’afflux permanent de touristes et de visiteurs pour les nombreux événements qui s’y déroulent. Le 14 juillet, un million de personnes viennent sur le site pour le feu d’artifice. Le lendemain, nous retrouvons nos parterres dans un triste état ! »

« L'école a toujours été une souffrance »

Face à l'adversité, Ludovic ne se décourage pas. Ce n’est pas dans sa nature. Car son parcours scolaire n’a pas été un long fleuve tranquille. En 2001, lorsqu’il arrive à la fondation, aux établissements Notre-Dame (28) communément appelés château des Vaux, il est en échec scolaire total. « À 15 ans, je ne savais ni lire, ni écrire, explique-t-il avec une émotion encore palpable. L’école a toujours été une souffrance pour moi. Dès la maternelle, j’arrivais en classe avec une boule au ventre parce que je n’arrivais à rien et je ne comprenais pas ce que je faisais là. »
Ludovic redouble son CP car il ne maîtrise pas la lecture. Puis le jeune élève traine ses difficultés de classe en classe, d’année en année. Il vit sa scolarité comme un véritable chemin de croix. « J’étais en échec et je me faisais harceler par les autres élèves. Ils me prenaient pour un demeuré. Mais pour me décourager, il m’en faut plus ! » Ludovic trouve du soutien auprès de ses parents qui l’encouragent à ne pas baisser les bras. Au collège, l’adolescent est orienté en SEGPA, une section d’accueil spécialisée pour les élèves en grande difficulté. « L’enseignement était plus concret, mais je devais me battre en permanence pour rattraper mon retard », confie-t-il. Le contact avec la nature apaise un peu ses tourments scolaires. « Depuis que je suis tout petit, j’ai toujours aimé travailler dans le jardin avec mes parents. Je préférais cent fois être dehors que dans une salle de classe ! »
En troisième, il rejoint le collège de l’enseignement agricole du château des Vaux, situé près de Chartres. « Je me souviens de ces grands jardins à la française que j’ai tout de suite trouvé magnifique. La qualité de l’encadrement à la fondation était différente. Nous faisions beaucoup de travaux pratiques. Et il y avait un esprit de famille, une qualité de la relation avec les profs et les éducateurs qui changeait tout. »

Un courage hors du commun

Ludovic (2e en haut en partant de la droite) lors de ses années au château des Vaux. Photo : DR

Pourtant, tout n’est pas si simple. « J’ai dû quitter mes parents pour devenir interne. Au début, je ne m’y plaisais pas trop... puis je me suis habitué. » Côté scolarité, Ludovic travaille d’arrache-pied, le soir et le week-end pour combler ses lacunes. « Ludovic avait d’énormes difficultés d’apprentissage du fait, notamment, de sa dyslexie, se souvient Jean-Noël Bouillaud, son professeur principal de l’époque. C’était un jeune très attachant, courageux, dont la progression d’année en année nous a étonnés. Il avait une capacité de travail et une exigence vis-à-vis de lui-même hors du commun. » « Quand on voit ce qu’il est devenu aujourd’hui, c’est tout simplement bluffant ! », ajoute Nicolas Raveneau, son ancien professeur de français.
L’année suivante, Ludovic intègre le CAPA travaux paysagers, mais il doit encore se battre pour contourner de nouvelles difficultés. « La reconnaissance des végétaux en latin… pour moi qui ne savait pas lire le français, c’était particulièrement difficile », dit-il comme s’il se replongeait dans ces années de combat contre lui-même. Les enseignants et sa famille le poussent à se dépasser. Et « contre toute attente, j’ai fini par décrocher mon CAP ! » Fort de cette première réussite, il s’inscrit en BEP, puis en bac pro. « À chaque fois que je décrochais un diplôme, je ne me sentais pas capable de passer au suivant. C’étaient des montagnes  infranchissables pour moi. Mais les enseignants finissaient par me convaincre. Le jour où j’ai eu mon bac, j’ai pleuré comme une madeleine ! J’étais content de l’avoir eu, mais j’étais aussi épuisé par toutes ces années de travail acharné. »

« La fondation m'a sauvé »

En 2008, sa professeure de maths l’engage à passer le concours de la Ville de Paris. « Je ne m’en sentais pas du tout capable. Mais elle m’a dit : "Si vous n’essayez pas, vous ne le saurez jamais !" » Ludovic se présente donc aux épreuves théoriques et techniques. Puis, passe l'oral devant un jury. « Le jour où j’ai su que j’avais réussi, j’ai pleuré… encore ! J'ai réalisé que j’allais avoir un vrai métier… malgré mes lacunes. Cela venait aussi récompenser ces années de travail où je n’ai jamais baissé les bras malgré mes difficultés. C’était une revanche sur la vie. »
Tonte, binage, taille, plantation, le jeune homme exerce son nouveau métier avec passion dans un jardin du 15e arrondissement de Paris. « Au bout de dix ans au même endroit, j’avais fait le tour du sujet. J’avais envie de changer. » Ludovic fait des remplacements dans plusieurs jardins parisiens, puis au mois de janvier dernier, dépose sa candidature pour un poste d’adjoint de maîtrise au Champ de Mars. « C’est un super boulot où l’on se préoccupe beaucoup d’écologie pour limiter la consommation d’eau, le zéro pesticides ou la rotation des tontes… C’est aussi un métier où les relations humaines comptent beaucoup, où je peux à mon tour donner une chance aux jeunes qui arrivent. » « Je suis très reconnaissant de l’aide que j’ai pu recevoir à la fondation. J’y ai appris un métier, un savoir-faire. Et j’ai pris confiance en moi car j’avais un énorme complexe d’infériorité. Ça m’a véritablement sauvé ! Le château des Vaux est même devenu une deuxième famille. J’y retourne d’ailleurs régulièrement pour donner des nouvelles. Aujourd’hui, je suis content de ce qu’est devenue ma vie ! »