Protection de l'enfance

Emmanuelle Julien, itinéraire d'une enfant placée

En 1997, Emmanuelle Julien, 7 ans, est placée avec ses cinq frères et sœurs à La Case, la Maison d’enfants d’Apprentis d’Auteuil spécialisée dans l’accueil des fratries à Hallennes-lez-Haubourdin (59). Débute alors un long parcours à la fondation pour devenir la jeune femme autonome qu’elle est aujourd’hui.

Au plus loin que remontent ses souvenirs d'enfant, Emmanuelle Julien, 28 ans, a toujours été placée. De sa vie d'avant son arrivée à l'âge de 7 ans à La Case, une Maison d'enfants d’Apprentis d’Auteuil spécialisée dans l'accueil de fratries, sa mémoire n’en a gardé aucune trace. Nous sommes en 1997. Les six enfants Julien, âgés de 6 à 12 ans, ont tous été placés à la fondation par les services de l'Aide sociale à l'enfance du département du Nord où habite la famille. « Maman avait un problème d'alcool qui ne lui permettait pas de s'occuper de nous correctement, dit avec pudeur Emmanuelle. Notre tante a essayé de faire face, mais ça n'a pas marché. Le premier jour où nous sommes arrivés à La Case, j'étais un peu stressée. La maison me paraissait immense et je ne connaissais pas encore l'endroit. Mais j'étais rassurée d'avoir mes frères et sœurs avec moi. On recréait à nous six un cocon familial. » Emmanuelle partage sa chambre avec sa sœur Alexandra son aînée d'un an. Leur petit frère est dans la chambre d'à côté. Et les plus grands dans le pavillon qui jouxte la maison. Les enfants prennent vite leurs marques dans cette grande maison avec jardin. Ils rejoignent les établissements scolaires du quartier. Les parents se voient octroyer des visites occasionnelles. Les liens se renouent petit à petit. La situation se stabilisant, les enfants sont d’abord autorisés à retourner chez eux de temps en temps. Puis in fine tous les week-ends. « Au début, ça me manquait de ne plus voir mes parents. D'autant que je ne comprenais pas pourquoi nous avions été placés. J'étais trop petite. Puis en grandissant, j'ai compris que c'était pour nous protéger. »  

Une fratrie chouchoutée

Emmanuelle Julien (au centre) lors de ses premières années à La Case. Photo : DR

À l’école, Emmanuelle connaît des difficultés en lecture. Elle redouble son CP, reçoit l’aide d’une orthophoniste, puis poursuit sa scolarité normalement jusqu’en 3e. À La Case la vie s’écoule paisiblement. « L’ambiance était familiale. On mangeait tous les soirs invariablement à sept heures. On allait à la piscine le mercredi et l’été, on partait en colonie de vacances », explique Emmanuelle avant de se remémorer un souvenir d’actualité : « Le 12 juillet 1998, le jour de la finale de la Coupe du monde, on est partis en pyjama avec les éducateurs faire le tour de la ville en voiture... comme beaucoup de Français ce jour-là ! »
« Emmanuelle était une petite fille très réservée, se souvient Agnès Delatre, l'éducatrice qui l’a suivie au cours de ces années. Nous étions très proches des enfants qui se suivaient chacun à 14 mois d’écart ! Nous les avons chouchoutés, entourés autant que possible. »

À la fin de la 3e, Emmanuelle opte pour l’horticulture après un stage en entreprise. Elle s’inscrit en CAP au lycée horticole et paysager Saint-Philippe de Meudon et quitte La Case pour la Maison d’enfants L’Annonciation de Clamart. « Les débuts ont été difficiles. Je ne connaissais personne à Paris. Et l’ambiance était très différente de La Case. Après avoir passé des années dans cette petite maison familiale, je devais apprendre l’autonomie. Les éducateurs nous apprenaient à gérer notre budget, à faire les courses, les repas… Heureusement, je rentrais à la maison un weekend sur deux. » Au cours de ces années, Emmanuelle découvre la vente : « En classe, c’était un peu dur. Je détestais les maths. Ce que je préférais, c’était les récoltes de fruits et légumes que nous allions vendre ensuite au magasin du lycée. »

Accompagnée dans la vie active

En 2008, la jeune femme obtient son CAP et bénéficie d’un contrat jeune majeur qui lui permet de continuer à être prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance. Elle souhaite poursuivre ses études par un CAP vente en alternance, mais faute d’employeur, est obligée d’arrêter sa formation. Pour faciliter son entrée dans la vie active, Emmanuelle est accompagnée par une association spécialisée dans l’insertion par les métiers de l’environnement. La jeune femme enchaîne les CDD pendant deux ans. « Cette période a été un tremplin pour entrer dans le monde du travail. Mais après deux ans à nettoyer les berges de la Seine ou à entretenir les massifs, je voulais faire autre chose. »

Pendant ces années charnières, Emmanuelle est aussi suivie par l’Accueil Saint-Gabriel, le service spécialisé dans l’accompagnement des anciens d’Apprentis d’Auteuil. Elle se fait aider pour la rédaction de son CV, de ses lettres de motivation. Et fait même des simulations d’entretien d’embauche ! Le travail paye. En février 2012, elle décroche son premier emploi dans la grande distribution. « J’ai commencé par le rayon boucherie. Et aujourd’hui, je m’occupe du surgelé et de la boulangerie-pâtisserie fraîche. Ça me plait, mais c’est un boulot physique où le rythme est soutenu. Je travaille très tôt - à 5h30 ! – mais j’ai tous mes après-midis de libre. Dans quelques années, je deviendrai peut-être chef de rayon. »
À 28 ans, la jeune femme, sur le point d’emménager dans son premier logement, jette un regard sur son passé : « Apprentis d’Auteuil a joué un rôle très important dans ma vie. J’y ai tout appris : un métier, à être autonome, à trouver du travail… bref, la fondation m’a aidée à grandir. Si nous n’avions pas été placés avec mes frères et sœurs, je ne sais pas ce que nous serions devenus aujourd’hui », note-t-elle. Avant de confier : « Le plus important ? J’ai gardé la tête haute et n’ai pas baissé les bras. »