Société

Olivier Galland, sociologue, radiographie la jeunesse d'aujourd'hui

Sociologue, Olivier Galland est directeur de recherche émérite au CNRS et spécialiste des questions liées à la jeunesse. Il publie une vaste enquête et un livre qui radiographient la jeunesse française.

Dans votre livre (1), vous souhaitez notamment aller à l’encontre des idées reçues sur la jeunesse.

Oui, car on a trop tendance à parler de la jeunesse comme d’un groupe homogène qui s’opposerait aux autres générations. Dans cette enquête menée avec l’institut Montaigne (2), nous montrons que le clivage entre les jeunesses dépend non seulement du niveau d’études, mais aussi du capital culturel de la famille que nous avons mesuré en fonction du nombre de livres présents au sein du foyer familial. C’est le fameux concept de capital culturel élaboré par Pierre Bourdieu qui se révèle très clivant au sein de la jeunesse. Cette jeunesse à faible capital culturel est très détachée de tous les débats sociétaux et politiques. Elle est d’ailleurs très peu présente dans le débat public. Elle fait donc contraste avec l’autre partie de la jeunesse qui est engagée et politisée.

Pourquoi l’école ne parvient-elle pas à corriger ce « handicap culturel » lié aux origines sociales ou familiales ?

Les inégalités dans l’acquisition des capacités cognitives commencent dès les premières années de la vie. Il est donc essentiel que l’école puisse les réduire très tôt. Nous avons un système éducatif trop centré sur les disciplines et qui fait peu participer les élèves. Ce qui n’aide pas ceux qui ont le moins de connivence avec le monde scolaire. Il faudrait laisser plus d’autonomie aux établissements pour adapter la pédagogie aux situations des élèves et constituer de véritables équipes éducatives. En France, c’est notre paradoxe. Au nom d’un principe d’égalité formelle, on applique un modèle uniforme qui finalement contribue à générer plus d’inégalités. La réussite du plus grand nombre n’est pas contradictoire avec la réussite des meilleurs. Les pays du Nord de l’Europe réussissent à faire les deux. Là-bas, ils sont obsédés par la réussite de tous.

Dans votre enquête, 41% des jeunes disent avoir eu des difficultés à l’école et 28% dénoncent une orientation subie.

En France, de nombreux élèves ont le sentiment de subir une orientation et d’être enfermés dans une filière qui ne correspond pas à leurs vœux. Il faut éviter d’engager trop précocement des jeunes dans des filières trop étroites. Ce qui débouche par de l’échec scolaire. Cela commence à être corrigé dans les lycées professionnels où il existe désormais des familles de métiers beaucoup plus larges. Il faudrait aussi améliorer la mobilité géographique pour permettre aux jeunes de choisir des filières qui ne se trouvent pas dans leur ville.

En France, le taux de chômage des 15-24 ans est à plus de 20% contre 6% en Allemagne. Comment expliquez-vous cette particularité française ?

Trop de jeunes sortent du système éducatif avec de faibles qualifications qui engendrent une difficulté d’insertion professionnelle. En France, toute la flexibilité du marché du travail repose sur les jeunes qui enchainent missions d’intérim et CDD. Les plus diplômés arrivent à se stabiliser dans l’emploi. Ce qui est beaucoup moins le cas pour les autres.

Comment expliquez-vous le désamour des jeunes et de la politique ?

Les jeunes ne sont pas les seuls à se détourner de la politique. Les autres générations s’en détournent également. Commencer sa vie politique en pensant, que « 68 % des hommes politiques sont corrompus » comme nous l’avons mesuré dans notre sondage, n’incite pas les jeunes à s’engager. Nous faisons aussi le constat d’une importante désaffiliation politique : 55 % des jeunes ne se sentent proches d’aucun parti, soit par rejet, soit parce qu’ils ne les connaissent pas. Ce qui ne veut pas dire que les jeunes se désintéressent des questions sociétales. Au contraire, ils se passionnent pour l’écologie, se mobilisent contre les inégalités, le racisme ou les violences faites aux femmes… Mais cela ne se traduit pas par un engagement via les partis politiques.

Les inégalités des ressources culturelles ont un impact sur l’emploi, mais aussi sur la participation sociale et politique des jeunes.

Du fait de leur "handicap" culturel, ces jeunes ne se sentent pas véritablement faire partie prenante de la société et des débats qui l’anime. Cette jeunesse dont personne ne se préoccupe vraiment est un peu "invisible". En France, on considère que l’école doit délivrer des connaissances. Mais que l’éducation au sens large revient plutôt aux familles. Malheureusement, certaines ne sont pas en capacité de le faire. L’école devrait, comme dans les pays du Nord, former aussi des citoyens. Il faudrait relancer l’enseignement moral et civique qui n’est plus vraiment enseigné aujourd’hui. Et se servir de ce temps pour éduquer les jeunes au débat public, leur donner la parole sur les sujets de société. L’école devrait être plus éducative.

Dans votre enquête, vous identifiez un groupe que vous nommez « les révoltés ». Qui sont-ils ?

Ils représentent 22 % des jeunes interrogés, soit près d’un quart. Ce qui est beaucoup ! Ils ne correspondent pas à l’image des jeunes révoltés, très diplômés et assez radicalisés, que l’on présente habituellement dans les médias. Ces jeunes « révoltés » sont issus de familles à faible capital culturel et ont fait peu d’études. Ils rencontrent des difficultés importantes dans leur vie personnelle et professionnelle. Plutôt malheureux, ils ont mal vécu leur scolarité et connaissent souvent des difficultés psychologiques. Ils font partie de cette jeunesse en rupture avec le reste de la société et dans laquelle monte une certaine forme de radicalité.

Pensez-vous que « 20 ans soit toujours le bel âge » pour faire référence au titre de votre livre ?

En France, nous avons trop tendance à voir les choses d’une manière trop négative. Il faut croire au bel âge de la jeunesse. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille fermer les yeux sur les difficultés que rencontrent les jeunes. Mais il faut éviter de propager cette idée d’une « jeunesse sacrifiée » et entièrement précarisée. La jeunesse, comme le montre notre enquête, croit en son avenir. Les jeunes veulent réussir et choisir un emploi qui les passionne. Elle n’est probablement pas assez bien accompagnée par les politiques publiques pour s’intégrer pleinement dans la société. (1) 20 ans, le bel âge ? Éd. Nathan 2022

(2) Une jeunesse plurielle Éd. Institut Montaigne 2022

 

L’enfance d’Olivier Galland

 J’ai eu une enfance plutôt heureuse et favorisée. Mon père était médecin et ma mère pharmacienne. J’ai vécu mon enfance à Paris et je suis allé à l’école Alsacienne. Je n’ai donc pas vécu les inégalités dans ma chair. Je me suis intéressé aux questions des inégalités lorsque j’étais doctorant à Dauphine. Je travaillais sur la question des jeunes chômeurs pour le laboratoire « Travail et société » qui était dirigé par Jacques Delors. En voyageant en France pour cette enquête, j’ai découvert toute la diversité de la société française.
 

Les dates clés

  • 1951 Naissance
  • 1984 Publication de son premier livre "Les jeunes"
  • 1998 Devient directeur de recherche au CNRS
  • 1991 Publication de Sociologie de la jeunesse
  • 2010 Devient co-directeur de la Revue française de sociologie
  • 2011 Publication de "La machine à trier"
  • 2022 Publication de "20 ans Le bel âge ?" Radiographie de la jeunesse française d’aujourd’hui