Société

Lucien Jean-Baptiste : « J'aime utiliser les clichés pour les casser »

À l’occasion de la sortie de « La Deuxième étoile » le 13 décembre, rencontre avec Lucien Jean-Baptiste. Dans cette interview, le réalisateur et comédien explique pourquoi il a souhaité faire une suite à son premier film neuf ans après et il revient sur les thèmes qu’il affectionne particulièrement : la lutte contre le racisme, la jeunesse et la famille.

Pourquoi avez-vous eu envie de faire une suite à « La Première étoile » sortie il y a neuf ans ?

Le réalisateur et comédien Lucien Jean-Baptiste dans "La Deuxième étoile" Photo : Jean-Claude Lother/ Mars films
Le réalisateur et comédien Lucien Jean-Baptiste dans "La Deuxième étoile" Photo : Jean-Claude Lother/ Mars films

Tout simplement parce que j’avais une histoire à raconter. Quand on fait un film qui s’appelle « La Première étoile », cela aurait pu conduire à une « Deuxième étoile » plus tôt. Mais cela n'aurait été que du marketing ! Mon métier, c'est de raconter des histoires ! C’est ce que j’ai fait depuis huit ans en faisant d’autres films comme « Il a déjà tes yeux » qui est sorti au début de l’année.

Quel est le message que vous souhaitiez faire passer dans « La Deuxième étoile » ?

Je suis simplement parti de l’observation de mes propres enfants. Aujourd’hui, les jeunes sont surconnectés ce qui m’a poussé à me demander comment une famille d'aujourd'hui pouvait communiquer si tout le monde se réfugiait dans les réseaux sociaux et les tablettes. Avec la petite famille de « La Première étoile », je me suis dit que je pouvais raconter quelque chose sur ce thème. J’ai pris comme support Noël car normalement les guerres s’arrêtent à cette période ! Il n’y avait donc aucune raison pour que les tablettes et les portables ne s’arrêtent pas aussi ce jour-là pour qu'une famille puisse partager une bonne dinde ou ouvrir la porte aux voisins.

Le thème de la famille est un thème qui vous est cher ?

"Dans La Deuxième étoile, je souhaitais parler de la difficulté de communiquer en famille. Photos : Mars Films

On retrouve effectivement le thème de la famille dans mes films, mais ici je souhaitais parler de la difficulté de se réunir en famille. Comment fait-on en 2017 pour communiquer avec ses enfants alors qu’ils sont derrière leurs écrans ? Comment continuer à parler lorsqu’il y a des conflits au sein de la famille ? C’est le problème que j’ai eu, il devrait donc être partagé par beaucoup de familles en France ! (rires)

Dans « Il a déjà tes yeux », l’histoire commence dans un bureau de l’Aide sociale à l’enfance. Avez-vous appris des choses à cette occasion ?

Oui pour la préparation du film, j’ai rencontré des personnes de l’Aide sociale à l’enfance, des adoptants… J'ai même eu la chance de visiter une pouponnière ! C'était un moment à la fois formidable et douloureux. J'y ai rencontré des gens incroyables qui se dévouent corps et âme pour ces enfants placés dès le plus jeune âge.

Pourquoi souhaitiez-vous aborder des sujets difficiles comme le racisme, la lutte contre les préjugés à travers une comédie ?

L'équipe du film "La Deuxième étoile" Photo : Mars Films
L'équipe du film "La Deuxième étoile" Photo : Mars Films

Je me suis demandé pourquoi lorsqu'un couple blanc adopte un enfant noir tout le monde trouvait ça normal. En revanche, lorsque c'est l'inverse, cela surprend et conduit aux rires ! La société française se diversifie, il va falloir s'y habituer. Il faudrait que l'on comprenne enfin que l'on peut être noir et français... et que ça n'est pas réservé qu'aux footballeurs !

Ces thèmes étaient déjà présents dans votre premier film « La Première étoile » où il est question d'une famille noire qui part au ski.

Au-delà de la couleur de peau, je voulais surtout traiter d'un sujet plus universel : comment une famille sans beaucoup de moyens peut-elle offrir des rêves à ses enfants ? Car ne pas pouvoir offrir des vacances au ski à ses enfants, cela concerne tout de même 4/5eme de la population française !  C'est ce qui a fait le succès du film au-delà du fait que ce soit une famille noire. J'ai raconté cette histoire comme je l'ai vécue. A l'époque, ma mère n'avait pas d'argent mais elle s'est débrouillée pour nous emmener à la montagne... même si on n'avait pas les meilleurs skis ou les combinaisons à la mode. Cela m'a fait un joli souvenir qui est devenu un film : « La Première étoile » ! Et ce film m'a permis d'en faire d'autres ensuite. Quels que soient les moyens que l'on a, on peut toujours apporter du rêve à ses enfants. Cela concerne tout le monde que l'on soit blanc, jaune ou vert ! (rires)

C'était important de parler de votre histoire à travers ce film ?

Les artistes racontent souvent leur propre histoire, ce qui les touche, les émeut. Si le cinéma n'était pas venu à moi, j'aurais pu raconter mon histoire dans un one-man show ou dans un livre. Il fallait que je raconte mon histoire. Il y a un côté psychanalytique, cathartique à raconter ce qui nous a fait mal, ce qui nous touche. Ma matière première, c'est mon vécu, mes expériences que j'essaye de partager avec le plus grand nombre dans mes films... comme beaucoup d'artistes.

Dans « DieuMerci ! », vous racontez l'histoire d'un homme qui veut devenir comédien à tout prix. Ce film était-il aussi autobiographique ?

Oui sauf que je n'ai pas fait de prison ! (rires ) J'ai utilisé la métaphore de la prison pour parler de l’enfermement dans lequel on se trouve parfois dans nos métiers, dans notre éducation ou nos habitats. A un moment, j'ai décidé de changer de vie (Lucien Jean-Baptiste travaillait dans l'événementiel avant d'être comédien et cinéaste, ndlr) suite à un drame et à un parcours de résilience. Comment faire quand un malheur arrive dans votre vie ? Quand on grandit en banlieue est-on condamné à être un banlieusard ? Pas du tout ! La banlieue est un cadre où chacun peut construire son destin.

Est-ce le message d'espoir que vous souhaitez transmettre aux jeunes ?

Absolument ! Deux phrases m'accompagnent dans la vie : « Nos plaisirs sont nos puissances » et « 5% de talent et 95% de travail ! ». Une fois que l'on a trouvé sa passion, il faut bosser ! Car vivre ses rêves, c'est souvent un chemin de croix.

Quel regard portez-vous aujourd'hui sur cette jeunesse française des quartiers qui connaît des difficultés mais qui peut aussi réussir ?

Les choses ont évolué dans les quartiers. Par rapport à mon époque - j'ai 53 ans -  il y a moyen de faire plein de choses. Grâce aux transports, à internet les jeunes sont plus ouverts sur le monde. Il ne faut surtout pas que les jeunes se laissent enfermer dans les clichés dans lesquels on voudrait trop souvent les contraindre. Aujourd'hui, des jeunes issus des quartiers difficiles arrivent à trouver leur voie dans la politique, le sport... Ces jeunes se sont parfois sortis de situations très difficiles, il faut donc que les jeunes les prennent comme modèle et qu'ils continuent de rêver !

Avez-vous le sentiment que l'on enferme trop souvent les jeunes dans des stéréotypes ?

Oui le formatage, ça m'énerve ! Si j'avais écouté mon conseiller d'orientation en 3ème, j'aurais fait de la mécanique... alors qu'à 53 ans je ne sais toujours pas planter un clou ! Ce jour-là, j'ai dit à ma mère je veux être comédien, et elle m’a répondu : « Le monsieur sait mieux ce qui est bon pour toi ! ». On ne fera pas de cadeaux à tous ces jeunes issus de l'immigration ou qui ne rentrent pas dans le moule. La meilleure chose que je puisse leur dire c’est : « Continuez à travailler dur, battez-vous, prenez des initiatives et construisez le monde dont vous rêvez ! ». Et je voudrais dire au jeune d'Apprentis d'Auteuil : « Ne lâche pas l'affaire ! » (rires)

Quels sont vos projets ?

Je vais adapter « Il a déjà tes yeux » en une série de six épisodes de 52 minutes pour France Télévisions. J'abandonne le cinéma un temps pour faire cette série parce que la télévision est un très bon moyen pour montrer au garagiste d'Aurillac, à la coiffeuse de Meudon ou l’architecte de Lille que certaines personnes sont issues de la diversité en France.  Ça devrait s'appeler : « Une famille française ». Ensuite, je voudrais faire un film sur la banlieue que j'ai connue dans les années 70 parce que j'en ai un peu marre des clichés sur la banlieue. J'aime utiliser les clichés pour les casser. Je voudrais montrer ce que devait être la banlieue et expliquer comment le système a été perverti.