Société

Frédérique Bedos : "Le rôle des médias est primordial pour changer le monde"

Femme de médias, Frédérique Bedos a quitté la télévision pour lancer en 2010 le Projet Imagine, une ONG d’information qui met en lumière des héros du quotidien. Propos recueillis par Agnès Perrot.

Comment est né votre projet ?

Bac en poche à 16 ans, j’ai fait mes études à Paris à l’École du Louvre et à la Sorbonne, où j’ai suivi une formation en histoire de l’art spécialisée en égyptologie. Repérée dans un café par un producteur américain, je me suis alors lancée un peu par hasard dans le métier de journaliste. J’ai travaillé quinze ans pour la télévision à New York, Londres et Paris, présenté les "Victoires de la Musique" et côtoyé les plus grandes stars de la musique et du cinéma. En 2008, j’ai eu une prise de conscience. Tout ce que j’ai vécu dans mon enfance à la fois de très difficile et de magnifique, et que j’avais occulté pendant des années, est remonté à la surface. Mes compétences professionnelles, je voulais désormais les mettre au service des valeurs d’entraide, de solidarité et d’amour qui m’ont sauvées, notamment en mettant dans la lumière ceux que j’appelle "les héros de l’ombre". Le projet fonctionnerait grâce à des dons que nous reverserions pour partie à ces magnifiques héros anonymes !  

Que vous êtes-vous dit ?

Le rôle des médias est primordial pour changer le monde ! La qualité des programmes à la télévision s’est énormément détériorée. Nous vivons dans une société qui ne véhicule que des messages négatifs. Le Projet Imagine est né dans ma tête, en réaction à ce fatalisme. Ma révélation, c’était de pouvoir créer un cercle vertueux, en totale indépendance, sur internet. On y découvrirait gratuitement des portraits de héros anonymes, mais aussi des enquêtes sur des grands sujets de société, comme la justice restaurative, née au milieu des années 1970, et qui permet à la fois aux victimes et aux auteurs de délits de se rencontrer, pour que les choses s'apaisent et qu'il y ait réparation des deux côtés, avec l’aide d’un tiers ... Dans tout cela, il s'agissait de faire ce que j’appelle du journalisme avec espérance.

De là est née une ONG ? 

Oui, notre ONG d’information qui a six ans d’existence aborde les problèmes sous l’angle de ceux qui s’engagent pour les résoudre, avec cette rage qui vous fait vous battre pour vous en sortir. Les gens sont interpellés et bougent à leur tour ! Depuis l’an dernier, nous avons franchi une nouvelle étape en distribuant nos productions de films sur de nombreuses chaines de télévision à travers le monde. Quant au premier long-métrage du Projet Imagine baptisé Des femmes et des hommes, prix d’argent du meilleur documentaire au 5e Green awards du Festival international de Deauville, il traite des discriminations dont sont encore largement victimes les femmes sur toute la planète. Il a été présenté aux Nations-Unies (Genève et New York), à l’UNESCO, Matignon, etc… et a déjà été vu par plus de 33 millions de personnes.

C'est quoi le Mouvement Imagine ?

C'est un grand mouvement d’engagement populaire, né à partir du Projet, au service d’un monde plus juste et durable. Il s’agit d’amener des messages d’espérance et d’engagement là où on en a le plus besoin… Le Mouvement Imagine se met aussi en place dans des écoles, au sein d’entreprises partenaires, et même dans l’enceinte de prisons. Finalement, cela nous concerne tous ! 

Pourquoi ce projet vous tient-il tant à cœur ?

Il rejoint mon histoire d’enfance longtemps cachée… Mes tout premiers héros, ce sont mes parents adoptifs. Je viens d’une famille particulière où nous étions une vingtaine de frères et sœurs du monde entier, chacun avec nos histoires difficiles, nos blessures ou nos handicaps. Comme mon petit frère Pierre-Vincent, né sans bras ni jambes…

Comment avez-vous atterri dans cette famille ?

Enfant, j’ai eu en fait une double vie : d’un côté, un quotidien plutôt sans repères, seule avec ma mère  biologique normande, mon père, réfugié d’origine haïtienne, ayant disparu au moment de ma naissance. Comme maman était fragile psychologiquement, elle allait très souvent à l’hôpital. Et donc, à ces moments-là, qui pouvaient durer des mois, je résidais à Croix, mon autre vie, dans la banlieue de Lille, chez Michel et Marie-Thérèse, ma famille adoptive, indiquée providentiellement à maman par un prêtre. Michel participait à l’implantation en France de "Terre des Hommes ", une ONG suisse qui agit notamment pour la défense des droits de l’enfant. J’ai été officiellement confiée à leur garde à l’âge de onze ans. Malgré les difficultés qui n’ont pas manqué, j’ai reçu dans cette famille un amour étonnant qui m’a sauvée.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Notre prochain grand défi aura pour thème le climat et nous avons terminé un long-métrage de 90 mn dédié à Jean Vanier, le fondateur de l’Arche et un portrait du docteur Devi Shetty, ce grand chirurgien indien qui opère à cœur ouvert en pratiquant les opérations les moins chères au monde. Les thèmes que nous abordons sont très variés...

Que souhaitez-vous transmettre aux plus jeunes ?

L’enjeu éducatif est vital. Apprenez, observez mais en même temps, soyez audacieux. Et pour cela, veillez à toujours bien rester à l'écoute de votre petite voix intérieure. Elle vous aidera à inventer votre propre chemin. Un chemin unique. Tout est possible à condition d’oser !

Bio Express
1971 : naissance en Normandie
1982 : confiée à sa famille adoptive
1987 : Ecole du Louvre et études d’histoire de l’art à la Sorbonne
1995 : débuts à la télévision
2010 : lancement de l’ONG Le Projet Imagine
2013 : sortie du récit autobiographique "La petite fille à la balançoire" aux éditions Les Arènes
2014 : sortie du film "Des femmes et des hommes", traduit en 12 langues