Société
29 juin 2020

Antoine Dulin : "Les jeunes, premières victimes de la crise"

Antoine Dulin, membre du CESE (Conseil économique, social et environnemental) et président de la commission « insertion des jeunes » au Conseil d’orientation des politiques de jeunesse, alerte sur la situation des jeunes et plaide pour des mesures en faveur de l’emploi. Un plan en faveur de la jeunesse devrait être annoncé à la mi-juillet par le nouveau gouvernement.

Quel a été l’impact de la crise sanitaire sur les publics en difficulté ?

Antoine Dulin, membre du CESE et du Conseil d’orientation des politiques de jeunesse. Photo : JP Pouteau/ Apprentis d'Auteuil

Les publics les plus fragiles, notamment les jeunes, ont été touchés, non pas directement par la pandémie, mais par ses conséquences économiques. L’arrêt brutal de l’économie a aussi mis à l’arrêt « l’économie de la débrouille », le système D, que pratiquent beaucoup de jeunes sans soutien familial. En parallèle, ces publics fragiles ont vu les structures d’aides d’urgence (alimentation, logement) se fermer. Sans parler des frais téléphoniques qui ont augmenté pendant cette période pour ces jeunes qui avaient besoin de rester en contact avec leurs proches ou de travailler via internet. Dans certaines épiceries sociales étudiantes, 95 % des personnes qui se sont présentées pendant le confinement étaient des nouveaux bénéficiaires ! Il y a donc eu une précarisation de ces publics qui étaient déjà fragilisés.

Au-delà des aspects économiques, l’impact a aussi été scolaire.

Le confinement a aussi entrainé un décrochage scolaire important dû à la fracture numérique des jeunes sous-équipés ou qui utilisaient internet uniquement pour leurs loisirs et qui ont été vite dépassés. Ce phénomène a été encore plus marqué pour certains  : on estime que 20 % des jeunes en lycée professionnel ont décroché au cours du confinement. En plus des 80 000 jeunes qui décrochent chaque année, il faudra compter à la rentrée avec les jeunes que l’on n’aura pas réussi à raccrocher scolairement après le confinement. Nous espérons donc que l’obligation de formation pour les 16-18 ans sera bien mise en œuvre au mois de septembre.

Quelle est la situation de l’emploi des jeunes post confinement ?

Les jeunes, toutes catégories confondues, sont habituellement la variable d’ajustement du marché du travail. Ils connaissent un taux de chômage structurellement plus élevé que les autres catégories sur le marché du travail. Ce taux de chômage est même cinq fois plus élevé chez les non diplômés que chez les diplômés. Avec la crise économique, nous allons sans doute avoir un taux de jeunes sans emploi en forte augmentation, alors que 700 000 jeunes vont en plus sortir de qualification cette année. N’oublions pas non plus les 1,8 million de jeunes NEET (Not in education, employment or training), ni en emploi, ni en formation.

Quelles solutions proposez-vous ?

Il faudrait créer des emplois aidés spécifiques pour les jeunes  comme nous l’avons déjà connu avec les emplois jeunes ou les emplois d’avenir dans les années 2012-2015. Pourquoi ne pas créer 200 000 parcours emplois compétences (PEC), les emplois aidés actuels, pour permettre à des jeunes d’aller vers des métiers d’utilité sociale ou de la transition écologique ? Une subvention de l’État de l’ordre de 70/80 % permettrait d’embaucher beaucoup de jeunes, notamment les moins qualifiés. On peut aussi imaginer des primes à l’embauche pour des publics à faible niveau de qualification sous forme de baisses de cotisations sociales et patronales. Les primes entrées en vigueur au mois de juin pour soutenir l’apprentissage vont dans le bon sens.

Au-delà du soutien à l’emploi, vous plaidez aussi pour la mise en place de mesures d’accompagnement.

La crise a remis en lumière la difficulté dans laquelle se trouve les 18-25 ans sans soutien familial. Soit parce qu’ils sont sortants de la protection de l’enfance, soit parce qu’ils sont issus de familles modestes. Ces jeunes pourraient s’engager dans des parcours d’insertion sociale et professionnelle, mais ils ne le font pas pour des questions matérielles (se loger, se nourrir, se déplacer) ou de frais périphériques à l’entrée dans un parcours d’insertion. La crise aidant, de plus en plus de jeunes vont se retrouver dans cette situation de précarité. C’est pourquoi plusieurs associations, dont Apprentis d’Auteuil, ont signé une tribune au mois de mai pour demander l’ouverture d’un revenu minimum pour les 18-25 ans sous conditions de ressources, en parallèle d’un engagement dans un parcours social et professionnel. Aucun jeune n’a pour horizon de vivre avec 550 euros par mois ! Mais ce serait une première étape pour sortir ces jeunes de cette logique de précarité et d’exclusion sociale.

Il y a aussi un sujet autour de l’assurance chômage : les règles ont été modifiées au 1er novembre 2019. Il faut désormais 6 mois de cotisation, et non plus 4, au cours des derniers 24 mois pour pouvoir être pris en charge. Avant la crise, l’impact de cette mesure avait été évalué à 30 % de jeunes touchés. Il y en aura mécaniquement beaucoup plus, car beaucoup n’ont pas pu travailler pendant le confinement et après. Cela va les empêcher de percevoir les allocations chômage. Difficile dans ces conditions de se projeter dans une logique de formation.

Apprentis d’Auteuil demande des mesures spécifiques pour la jeunesse

Dans quelques jours, le nouveau gouvernement devrait proposer un plan de relance pour faire face à la crise économique et sociale qui succède aujourd’hui à la crise sanitaire. Ce plan doit marquer une ambition particulièrement forte pour l’ensemble de la jeunesse de notre pays, « première victime de la crise sanitaire ». Apprentis d’Auteuil s’associe aux collectifs ALERTE et « Pour un big bang des politiques jeunesse » pour demander la mise en place rapide d’un mécanisme ambitieux d’accès des jeunes à des ressources et à un accompagnement social global en signant la tribune "Nouveaux droits pour les jeunes précaires : il y a urgence !" parue le 8 juillet dans le journal La Croix. Une prise de position qui fait suite à la tribune signée le 10 mai dernier par Apprentis d’Auteuil, et par 12 personnalités ou représentants associatifs, dans laquelle la fondation demandait l’ouverture du RSA pour les jeunes dès 18 ans, associé à un service public pour l’insertion des jeunes qui les accompagne véritablement vers l’emploi.