Plaidoyer

Après la crise sanitaire, agissons pour les jeunes sortants de la protection de l'enfance

Le 11 juillet, au lendemain de la fin de l’état d’urgence sanitaire en France, des milliers de mineurs et de jeunes majeurs pris en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance, risquent de se retrouver à la rue le jour anniversaire de leurs 18 ans. Pour eux, Jean-Marc Sauvé, président d’Apprentis d’Auteuil et vice-président honoraire du Conseil d’État, lance un cri d'alarme. En son nom et au nom de la fondation.

Jean-Marc Sauvé, président d'Apprentis d'Auteuil © Besnard/Apprentis d'Auteuil

La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 a considérablement aggravé les conditions de vie, déjà difficiles, des plus vulnérables de nos compatriotes. Parmi eux, figurent les jeunes qui sortent de la protection de l’enfance sans disposer d’une insertion sociale et professionnelle suffisante et qui sont trop souvent acculés à une mise à la rue brutale à 18 ans, alors qu’en principe prend fin pour eux toute prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance. De telles «sorties sèches » ont fort heureusement été évitées pendant la période de l’état d’urgence sanitaire, puisque la loi du 23 mars 2020 a prescrit la continuité des mesures de protection des mineurs et des jeunes majeurs, qui étaient en cours d’exécution. Les éducateurs et les travailleurs sociaux ont ainsi pu continuer à accompagner les plus fragiles.  
Ce cadre légal demeure toutefois temporaire et exceptionnel. Or, on ne peut imaginer que les difficultés de ces jeunes s’arrêteront au lendemain de la fin de l’état d’urgence.  
Ayant vécu des parcours difficiles, parfois traumatiques, cumulant les handicaps, les jeunes sortants de la protection de l’enfance, qu’ils soient mineurs ou jeunes isolés non accompagnés, enfants en rupture avec la loi ou en situation d’échec familial ou scolaire, vont être les premières victimes de la crise économique et sociale qui s’annonce. Ils sont parmi les plus fragiles de notre société  ; ils sont donc particulièrement exposés aux secousses à venir.
Sans projet, ni accompagnement, nombre d’entre eux risquent de se retrouver livrés à eux-mêmes au matin du 11 juillet, date de fin de l’état d’urgence sanitaire. Cette situation n’est pas nouvelle  : elle est la conséquence de politiques publiques de la jeunesse incomplètement déployées dans les domaines de la protection de l’enfance et de l’insertion, mais aussi d’évolutions sociétales  : le recul de l’âge de l’autonomie et son corollaire, l’entrée plus tardive sur le marché du travail, font que les jeunes sont les plus exposés au chômage. Mais elle a acquis une dimension inédite, que va encore aviver la crise sociale qui arrive, quelles que soient les mesures prises pour en réduire la durée et les effets. Aujourd’hui, de façon plus claire encore qu’hier, nous devons nous poser cette simple question  : quel parent, quelle société peut accepter de mettre certains de ses enfants à la rue à l’âge de leurs 18 ans, sans projet abouti ni soutien, en particulier dans cet environnement  ?  

La perspective pour les plus fragiles d’un échec programmé n’est pas acceptable

Les acteurs de terrain qui travaillent au service des jeunes sont prêts à les accompagner afin qu’ils puissent s’insérer, vivre dignement et devenir des femmes et des hommes debout. Mais ils ne peuvent le faire sans le concours de l’État, seul à même d’enclencher une issue positive à ce qui risque de devenir un drame. Il faut, comme en mars dernier, poser le cadre légal permettant de prolonger, le temps nécessaire, l’accompagnement de ces jeunes, plusieurs mois après la crise sanitaire. Car si l’état d’urgence sanitaire s’arrête le 10 juillet en termes juridiques et administratifs, il ne signifiera pas la fin de l’urgence pour ces jeunes  : urgence d’éviter une mise à la rue souvent inéluctable  ; urgence de se frayer un chemin vers l’insertion dans un contexte économique et social forcément dégradé, quelles que soient les mesures prises par ailleurs. La perspective pour eux d’un échec programmé n’est pas acceptable.
Une disposition transitoire d’accompagnement doit être le préalable à la mise en place d’un mécanisme pérenne de soutien et d’insertion pour ces jeunes, qui ne demandent comme tout un chacun qu’à vivre, trouver un travail, fonder une famille…, et qui n’ont pas eu la chance de pouvoir compter sur un environnement familial stable et sécurisé. 
Pour ce faire, tout enfant et jeune en situation de vulnérabilité, notamment celles et ceux qui ont bénéficié d’une mesure de protection au titre de l’article 375 du Code civil, doit se voir proposer une prise en charge individualisée et un projet d’accompagnement favorisant son inclusion pleine et entière dans la société. Á ce prix, nous pourrons éviter un gâchis éducatif et un drame social.
Alors que vont être élaborés et discutés dans les prochaines semaines des textes permettant d’apporter des réponses à la crise que traverse le pays, il est indispensable que les jeunes déjà défavorisés par le destin ne soient pas les oubliés des plans de sortie de crise aujourd’hui en construction. C’est confiant dans l’esprit de responsabilité des pouvoirs publics et dans leur attention aux plus vulnérables, que nous les appelons à mettre en place en urgence des solutions viables et immédiates pour les jeunes majeurs. Dans ce cadre, les acteurs du secteur prendront leurs responsabilités pour construire avec eux un avenir en ces temps difficiles.  Cette tribune a été publiée, en exclusivité, sur le site www.la-croix.com le 23 juin 2020 et reprise dans le quotidien La Croix du 24 juin 2020.