Expérience de collaborateurs à l'international - Jonathan Chaudrin (à gauche) au Sénégal
International

Grâce à l’expérience internationale, un changement de regard sur les MNA

 

Éducateur à la Maison d’enfants Jacques-Laval d’Eaubonne (95), Jonathan Chaudrin (à g. sur la photo) travaille auprès de mineurs non accompagnés (MNA) de 14 à 16 ans. Grâce au projet Passer’Aile, coporté par l’association franco-sénégalaise Futur au présent international (FAP) et Apprentis d’Auteuil, lui et ses collègues de la fondation ont pu partager leur expérience dans l’accompagnement des MNA avec d’autres professionnels d’Espagne, d’Italie et du Mali. Une ouverture exceptionnelle, inscrite dans le cadre des actions d'Apprentis d'Auteuil à l'international.

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Un projet unissant des travailleurs sociaux d'Apprentis d'Auteuil et leurs homologues au Mali, en Espagne et en Italie, permet de travailler de façon approfondie sur l'accompagnement des mineurs non accompagnés (MNA) et de changer les regards sur ces jeunes vulnérables.

Vous avez accueilli Yakouba Sylla, un travailleur social malien. Qu’est-ce que cela vous apporté ?

Durant ses trois semaines en immersion dans notre Maison d’enfants, nous nous sommes beaucoup appuyés sur lui pour comprendre les codes des MNA, très différents des nôtres parfois. Exemple, quand on reprend un jeune, il ne va pas regarder l’éducateur dans les yeux. L’éducateur lui dit : « Tu ne m’écoutes pas. Peux-tu me regarder quand je te parle ! » et pense qu’il lui manque de respect. Or, c’est précisément le contraire. Le respect envers l’adulte se marque ainsi, c’est ce qu’ils ont appris toute leur enfance. Il y a un choc des cultures.
La présence de cet éducateur nous a aidés à comprendre les jeunes, et au-delà. Le voir nous faire confiance a permis à certains jeunes de nous faire confiance à leur tour et de nous écouter davantage. Il a pu faire l’intermédiaire auprès de jeunes parlant uniquement un dialecte malien et dissiper des malentendus, sur la lenteur des démarches administratives par exemple, que certains jeunes assimilaient à un manque d’implication des éducateurs.

Avez-vous d’autres exemples ?

En Afrique, on mange souvent dans le même plat commun, signe de respect et de partage, en attendant que l’aîné commence en premier. Or nous voyions à la Mecs des jeunes sauter sur les plats dès qu’ils arrivent. Nous en voyons aussi imiter ceux qui ne respectent pas les adultes. Ces changements d’attitude ont amené une discussion sur les racines et l’éducation à ne pas oublier. Nous leur disons : « Pourquoi cette transgression ? Qu’avez-vous appris dans votre enfance ? » On les aide à se reprendre. Autre exemple, concernant l’importance des fétiches et des croyances que nous avons appris à mieux saisir. Tant que le jeune n’a pas eu la bénédiction de sa famille, il va se sentir mal. Certains portent des grigris. Qu’un Européen dise d’emblée qu’il n’y croit pas crée une barrière, cela rompt la confiance qui aurait pu s’établir. Le jeune va vous cacher des choses. Cette compréhension des différences dans les codes nous amène à plus d’écoute, le non jugement, pas de regard moqueur.

Une immersion était prévue chez les partenaires italiens de Per Esempio et espagnols de Caritas. Qu’avez-vous remarqué ?

Si les pratiques éducatives sont globalement les mêmes en Italie et en Espagne, j’ai pu me rendre compte qu’ils avaient en Italie un médiateur sociolinguistique, ce qui s’explique par la barrière de la langue, car aucun MNA ne parle italien ou espagnol. Ces médiateurs sont souvent d’anciens MNA. En France,nous accueillons souvent des jeunes qui comprennent le français ou qui sont anglophones, on se débrouille. Nous mettons aussi tout en œuvre pour qu’ils apprennent vite le français. Nous avons aussi des éducateurs de toutes origines, cela peut aider, et l’apport de bénévoles pour le soutien scolaire. J’ai constaté qu’en France, on est plus aidés pour l’administratif. Il existe des lois, des décrets qui délimitent un cadre pour les MNA pris en charge par l’ASE. C’est plus compliqué en Italie et en Espagne. Dans leurs services, ils ont par conséquent des avocats pour ce volet administratif, alors qu’en France, ce sont les éducateurs qui font les démarches. Avec un minimum de papiers, nous obtenons la régularisation pour au moins 80 % des jeunes. Et s’ils ont 3 ans de prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance en France avant leur majorité, la naturalisation, même si c’est plus compliqué maintenant.

Expérience de collaborateurs à l'international - réunion de travail
Séance de travail entre les travailleurs sociaux du projet Passer'Aile sur l'accompagnement des MNA. 
(c) Apprentis d'Auteuil

Vous revenez d’un séjour en immersion dans des structures de FAP au Sénégal. Qu’avez-vous vécu là-bas ?

Dans le cadre de l'action d'Apprentis d'Auteuil à l'international, avec mes collègues d’Apprentis d’Auteuil et nos homologues italiens, espagnols et malien, nous sommes allés à Ziguinchor, au sud du Sénégal, dans une structure scolaire pour jeunes filles en situation de vulnérabilité, dans les rues. Les travailleurs sociaux vont au contact des parents pour voir ce qui pose problème. Généralement, ce sont les frais de scolarité (inscription, uniforme, fournitures) et de santé. Après étude de la situation, FAP peut décider de prendre ces frais en charge. Un premier pôle propose une scolarité liée à un apprentissage chez un patron, en couture ou mécanique. On propose aux patrons des formations à l’accompagnement du jeune (il y a tout un travail pour inciter à ne pas frapper le jeune, à discuter pour mieux le comprendre) et à la gestion de leur entreprise. Ces formations sont très appréciées.
Pour les plus de 17 ans, FAP propose un apprentissage chez un patron avant qu’ils ne lancent eux-mêmes leur propre entreprise. Contrairement à la France, les jeunes en apprentissage ne sont pas rémunérés, ils sont juste nourris. Les patrons n’obtiennent pas de subventions, mais ces formations. FAP s’occupe aussi de jeunes et d’adultes incarcérés, pour améliorer leur vie en prison et les aider à la sortie. Après, nous sommes allés à Kolda, une autre ville au sud du Sénégal, où FAP s’occupe surtout de la scolarité des jeunes filles.

Qu’est-ce que cela vous a apporté ?

Cela fait bouger nos croyances. Cela m’a apporté, ainsi qu’à l’équipe, des clés de compréhension qui faciliteront l’accompagnement des jeunes et une ouverture d’esprit. À Ziguinchor, nous avons rencontré des jeunes qui ont pour idée de venir en Europe. Ils savent pourtant que le parcours migratoire est très dur. Mais ils vivent là-bas dans une pauvreté innommable. Nous, acteurs européens, avons compris que ces jeunes n’ont plus rien à perdre. Cela nous a fait comprendre leur envie de partir à tout prix. Nous les verrons d’une autre manière. Si j’étais dans cette situation, je serais parti aussi...
Nous avons discuté avec un jeune de 22 ans. Son père est mort, il est le seul homme de la famille, sur lequel tous comptent. Il n’a pas de travail, aucun moyen financier, et ne supporte plus le regard de sa famille. Beaucoup de travailleurs ne sont pas payés. Ils sont juste nourris. Cela explique cette migration.
Autre point sur lequel nous avons réfléchi, au cours d’un jeu pour apprendre à mieux nous connaître. Nous étions amenés à dire le nombre de pays où nous avions voyagé hors Europe. Une jeune fille nous a demandé : « Comment ça se fait que vous, Européens, pouvez voyager partout dans le monde, et que pour nous, c’est très compliqué ? » Cette difficulté engendre une envie d’aller voir le monde.
En ce qui concerne la posture éducative, l’équipe va être plus à l’écoute, plus disponible, l’accompagnement sera plus poussé. L’expérience internationale qui nous est proposée grâce à ces projets apporte une ouverture sur d’autres pratiques, amène à mieux comprendre les MNA, leurs motivations, leur vécu, leurs réactions. Certains, en voyant la pauvreté sur place ont dit : « Cela me donne envie de les serrer dans mes bras quand je rentrerai ». Notre regard change.

 

 

Expérience de collaborateurs à l'international - devant le portrait du père Daniel Brottier à la cathédrale Saint-Louis de Dakar
Pause devant le portrait du père Daniel Brottier, directeur d'Apprentis d'Auteuil de 1923 à 1936, et initiateur de la construction de la cathédrale Saint-Louis de Dakar, au Sénégal, où il fut missionnaire spiritain. 
(c) Apprentis d'Auteuil

Le projet a été rendu possible grâce au financement de l'agence Erasmus +.