Vie de la fondation

Centenaire armistice 1918, le père Brottier, aumônier dans les tranchées

Fondateur du corps des aumôniers volontaires, et lui-même sur le front de 1914 à 1919, le père Daniel Brottier se donne entièrement à sa mission auprès des soldats. A l’occasion du centenaire de l’armistice de 1918, récit des années de guerre de celui qui deviendra directeur des Orphelins Apprentis d’Auteuil de 1923 à 1936. Photos : Archives historiques/Apprentis d'Auteuil

Août 1914 : création du corps des aumôniers volontaires

3 août 1914. L’Allemagne déclare la guerre à la France. Daniel Brottier, 38 ans, missionnaire de la congrégation du Saint-Esprit, est réformé pour cause de migraines incessantes. Mais il n’envisage pas de rester sans rien faire. Avec son confrère le père Trilles, il a l’idée d’un corps d’aumôniers volontaires (1) qui vivraient au quotidien sur le front, aux côtés des soldats. Ils exerceraient leur ministère de prêtre en première ligne des combats et apporteraient leur secours aux blessés et aux mourants. Relayé par Mgr Le Roy, leur supérieur, et Albert de Mun, député du Finistère, ce projet est accepté dans la foulée par René Viviani, président du Conseil.

L'humanité au coeur de l'enfer

Le père Brottier prenant des photos pour les familles des soldats
Le père Brottier prenant des photos pour les familles des soldats

Mobilisé le 26 août 1914, Daniel Brottier est envoyé dans la 26ème division d’infanterie, (105ème et 121ème régiments), dans l’Oise, la Belgique, la Somme et l’enfer de Verdun à quatre reprises… Son courage, son humour et sa proximité avec les soldats comme avec les officiers, le font tout de suite remarquer. Tout comme sa volonté de rendre leur quotidien moins inhumain. En mars 1915, il écrit à Mgr Le Roy : « Je suis dans un secteur où les troupes occupent les tranchées depuis déjà longtemps (…). Il m’a semblé que ma visite leur serait beaucoup plus agréable si elle leur était de quelque utilité, non seulement spirituelle, mais matérielle. Et j’ai songé à la photographie… » Un équipement lui est immédiatement octroyé par son évêque. L’œuvre de la photographie du soldat est née. Il sillonne le terrain, photographie les soldats et envoie leur photo aux familles, favorisant un lien essentiel. Plus tard, ce sera L’œuvre du sous-vêtement du soldat pour rééquiper les blessés guéris, complètement démunis. Il écrit aussi longuement aux mères et aux veuves des soldats tombés au combat. La prière, mais aussi l’accueil des confidences de ces hommes, sont au cœur de son ministère.
 

Un aumônier en tête sous la mitraille

le père Daniel Brottier, médaillé en 1917
le père Daniel Brottier, médaillé en 1917

Son souci des hommes est aussi visible au plus fort des combats. En mars 1916, à Verdun, un ordre d’attaque totalement impréparé voue les hommes de sa compagnie à la mort ; ne parvenant pas à convaincre l’officier supérieur de modifier ce plan, il l’invite alors à mener l’assaut en tête avec lui… Après visite du terrain, les instructions sont modifiées ! Sur le terrain, uniquement équipé de sa croix rouge de brancardier et de sa croix d’aumônier, il est aux côtés des hommes qui se lancent dans la bataille. Comme en septembre 1916, lors de la célèbre attaque du Bois Triangulaire dans la Somme, où il laisse une partie de sa soutane dans les barbelés. Son implication crée l’étonnement. Un jour, en pleine bataille, Daniel Brottier entend un dialogue dans le trou d’obus voisin du sien : « Ah dis donc, si on était aumônier, on ne serait pas là. - Mais si, le nôtre est toujours avec nous. -Penses-tu, il est avec la seconde vague ! » Il saute alors hors de son trou pour les rejoindre et leur offrir des cigarettes…
 

"Le père Brottier, c'était le réconfort."

En 1917, le combat de Saint-Quentin est une page glorieuse du 121ème : « Le père Brottier, notre brave aumônier, se prodigue. Parti selon son habitude en tête des vagues d’assaut, laissant une deuxième soutane dans le fil de fer, il parcourt toute la ligne, impassible sous les bombardements, pour apporter le secours de son ministère aux blessés et aux mourants. » En août 1917, de nouveau à Verdun, le colonel Janson raconte : « Les obus pleuvaient de toutes parts, le père remontait le moral de chacun. Et quand on lui disait : « Vous, vous n’avez pas peur de la mort ! » Il répondait : « Ne croyez pas cela ! J’ai la trouille autant que vous ! » Pourtant, pour les soldats, « le père Brottier, c’était le réconfort. Chaque fois qu’il arrivait, il faisait rire tout le monde, même sous les marmitages les plus intensifs… »
La guerre s’achèvera pour lui en mai 1919 en Allemagne où il a suivi les troupes d’occupation.

La Somme, Verdun..., une expérience indicible

Le père Brottier dans les tranchées en companie du colonel Camors et du lieutenant de Dinechin

Lorsqu’il se retourne sur ses années de guerre, Daniel Brottier a cette réflexion : « On m'appelait l'aumônier verni. Il est vrai que, souvent exposé, j'ai été préservé des pires dangers comme par un miracle perpétuel. Mes habits ont été troués, déchirés, je n'ai jamais eu de vraies blessures… » En 1919, Mgr Jalabert, son ami et supérieur pour l’œuvre du Souvenir africain (2), lui montre la prière qu’il avait écrite dans son bréviaire : « Petite sœur Thérèse, gardez-moi mon père Brottier. » Celui-ci découvre alors la jeune carmélite de Lisieux à qui il confiera à nouveau (3) les Orphelins Apprentis d’Auteuil, lorsqu'il prendra la direction de l'Oeuvre. Il poursuit : « S’il me fallait recommencer ce que j’ai fait à Verdun et dans la Somme, je ne le pourrais plus. Je ne pourrais plus porter des blessés sur mon dos, demeurer des nuits et des journées entières dans les trous d’obus sous des bombardements insensés, sourire et plaisanter quand on se sent abruti par le froid, la faim, la fatigue, le sommeil et la peur. Voyez-vous, tout cela, c’est quelque chose de surhumain. » Plus tard, il ajoutera : « Si j’ai fait quelque chose de bien, c’est pendant la guerre que je l’ai fait. »
 

(1)    En 1914, les 150 aumôniers militaires en titre sont à l’arrière du front, les prêtres ordonnés avant 1905 vont dans les services de santé, les autres prêtres et les séminaristes intègrent le corps des combattants.
(2)    La construction d’une cathédrale à Dakar, au Sénégal
(3)    L’abbé Muffat, son prédécesseur, l’avait fait début 1923.

 

A lire

Le Bienheureux père Daniel Brottier, Antoine Grach, Éd. Karthala
Prier 15 jours avec Daniel Brottier, Alphonse Gilbert, Éd. Nouvelle Cité
Daniel Brottier, Remuer ciel et terre, une BD de Brunor et Duphot, Éd. Mame
 

Père Daniel Brottier, brève biographie

  • 1876 naissance à La Ferté Saint-Cyr, diocèse de Blois
  • 1899 ordination sacerdotale
  • 1902 entrée dans la congrégation du Saint-Esprit
  • 1903-1911 missionnaire au Sénégal
  • 26 août 1914–20 mai 1919 aumônier volontaire
  • 1918 création de l’Union nationale des combattants avec l’aide de Clémenceau
  • 1923-1936 directeur des Orphelins Apprentis d’Auteuil
  • 25 novembre 1984 béatification à Rome