Education et scolarité

Aziz Jellab, "le bac pro offre de réelles chances de réussite !"

INTERVIEW. À l'occasion des trente ans du bac pro, Aziz Jellab, sociologue de l’éducation, prend la parole. Propos recueillis par Agnès Perrot. 

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Le bac pro fête ses 30 ans cette année. Retour sur un diplôme pas toujours bien connu dans ses spécificités et qui offre de rélles chances de réussites aux jeunes qui le préparent.

Quel sens donner aux 30 ans du bac pro ?

Le baccalauréat professionnel, c’est d’abord la symbolique du baccalauréat. 85 % des élèves qui le préparent viennent de milieux populaires. Pour ces enfants, passer ce bac, c’est la promesse d’une ascension sociale et professionnelle. Ce diplôme jouit d’un réel engouement, surtout depuis la réforme de 2009 qui a conduit à sa préparation en trois ans, directement après la troisième, au lieu de quatre et attire de plus en plus de candidats. Il a éclipsé le CAP et trois bacheliers sur dix en sont titulaires.Seul bémol, ses missions. Le bac pro prépare-t-il à l’entrée dans la vie active ou ouvre-t-il la voie vers l’enseignement supérieur ?

C'est à dire ?

Le bac pro a une double finalité qui n'était pas affichée ainsi au départ. Il doit à la fois permettre la poursuite d’études et l’insertion professionnelle. À force de ne pas choisir, on ne sait plus bien à quoi ce diplôme mène vraiment... Par ailleurs, les risques de décrochage en cours de formation restent assez élevés, avec un absentéisme important. Enfin, si ce bac permet en principe l’accès à l’enseignement supérieur, principalement en BTS, seuls 25 % des élèves qui souhaitent s’inscrire en première année obtiennent finalement leur diplôme. L’université reste quant à elle un choix très risqué : moins de 5% des diplômés obtiennent une licence. Les bacheliers pro ne sont pas préparés à suivre ces cursus…

Quelles sont les spécificités de ce bac ?

Sa première particularité est d'être un diplôme dédié à l'insertion professionnelle : délivré au titre d'une spécialité professionnelle, il atteste que ses titulaires sont aptes à exercer une activité professionnelle hautement qualifiée. Le bac pro revêt par ailleurs une obligation d'immersion en entreprise, via des périodes de formation en milieu professionnel de plusieurs semaines et son évaluation s'effectue, pour toutes les matières, sous forme de contrôle en cours de formation.  

Et ses atouts majeurs ?

La relation entre les enseignants et leurs élèves. C'est un fait, en lycée professionnel, les enseignants sont plus compréhensifs avec leurs élèves, ils s'adaptent et font beaucoup moins de différence entre instruire et éduquer les jeunes qui leur sont confiés. Ils exercent aussi dans une pédagogie du concret,  avec le souci d’une évaluation positive, partent de l’expérience, visualisent, trouvent l’accroche, etc. Autant d’éléments très porteurs. Du coup, les élèves, pour la très grande majorité d’entre eux, en échec au collège, découvrent au lycée pro qu’ils ont des compétences et reprennent confiance en eux. Aujourd’hui, le bac pro est en train de créer une vraie mutation. Il attire un nouveau public, qui tout en aspirant à poursuivre des études est à la recherche d’un compromis entre l’école et le monde du travail. Bref, ce bac offre de réelles chances de réussite.

Pourquoi a-t-il été créé ?

La création du bac pro, co construit avec des branches professionnelles, a suscité  beaucoup de débats. L’idée est partie du patronat qui voulait des ouvriers mieux formés dans les usines dont les emplois montaient en qualification. Les chefs d’établissements professionnels y étaient très favorables, à cause de la valorisation du niveau de qualification de leurs élèves. Tout le monde a fini par se mettre d’accord…

Tous les bacs pro se valent-ils ?

ll existe une centaine de spécialités de bacs pro couvrant pratiquement tous les secteurs professionnels, de la restauration à l’électrotechnique, en passant par les métiers du pressing, la prothèse dentaire ou la perruque-postiche… Certains sont plus attractifs que d’autres et tous ne forment pas le même type de publics, quelques-uns pouvant imposer une sélection, comme dans les métiers d’art, alors que d’autres accueillent les jeunes qui n’ont pas trouvé de place ailleurs… Il n’existe par ailleurs pas forcément de lien entre les bacs qui offrent des débouchés et ceux qui attirent le plus d’élèves. Peu s’inscrivent ainsi en chaudronnerie - les emplois existent dans ce secteur -, alors que les demandes d’inscription en boulangerie-pâtisserie, esthétique, vente ou aide et soin à la personne, très recherchées, correspondent à des formations plus aléatoires en matière d’accès à l’emploi.

Pour finir, quelle est la valeur de ce bac sur le marché du travail ?

Seul bémol, on pensait que le bac pro allait permettre à nombre de diplômés de s’inscrire rapidement sur le marché du travail. Or, le bilan est mitigé. Certes, l’insertion avec un bac pro est  meilleure qu’au niveau CAP, en tous les cas dans l’industrie, l’hôtellerie, ou la gestion-administration, mais beaucoup de titulaires de ce bac occupent un emploi sans que leur statut se soit amélioré. Malgré tout, le bac pro est aujourd'hui en train de créer une vraie mutation et il attire un nouveau public, qui tout en aspirant à poursuivre des études est à la recherche d’un compromis entre l’école et le monde du travail. Bref, ce diplôme offre de réelles chances de réussite.

Pour en savoir plus : 
- "L’émancipation scolaire. Pour un lycée professionnel de la réussite"
- "Sociologie du lycée professionnel. L'expérience des élèves et des enseignants dans une institution en mutation"
par Aziz Jellab, éditions Presses universitaires du Mirail