Société
31 mai 2022

Elections : pourquoi les jeunes votent-ils de moins en moins ?

Élections après élections, les chiffres se confirment : les jeunes boudent de plus en plus l’isoloir. Un abstentionnisme massif, révélateur d’un nouveau rapport qu’entretiennent les jeunes avec la politique. Des jeunes qui aspirent à exercer leur citoyenneté autrement que par le vote. Explications par Félix Lavaux.

Un record ! Lors de l’élection présidentielle du mois d’avril, plus de quatre jeunes sur dix (42%) âgés de 18-24 ans ne sont pas allés voter. Le niveau d’abstention le plus élevé de toute l’histoire électorale de la Ve République ! Lorsqu’on les interroge, les 18-24 ans arguent qu’« aucun candidat ne défend leurs idées » ou que « ces élections ne changeront rien dans la société ou à leur situation personnelle ». (1)

« La participation électorale est traditionnellement indexée sur l’âge : plus on est âgé, plus on vote, explique Frédéric Dabi, directeur général Opinion de l’IFOP. Les jeunes votent, eux, par intermittence. Habituellement, l’élection présidentielle est le scrutin auquel les 18-25 ans, primo votants, participent le plus, car il y a la dimension "rite de passage" pour ce scrutin qui reste une référence de la Ve République. Mais l’abstention structure désormais les élections en France chez les jeunes... mais aussi pour l’ensemble du corps électoral. » Ainsi, 28% des électeurs se sont abstenus au deuxième tour de l’élection présidentielle. Un taux inégalé depuis cinquante ans.

Des jeunes moins politisés

Pour expliquer ce phénomène, les chercheurs Marc Lazar et Olivier Galland évoquent une « impressionnante désaffiliation politique d’une grande partie de la jeunesse ». Dans leur dernière enquête "Une jeunesse plurielle" (2), 43 % des jeunes interrogés ne se positionnent pas sur l’échelle politique gauche-droite traditionnelle. Et 55 % se disent proches d’aucun parti. 

Selon le sociologue Vincent Tiberj (cf. encadré ci-dessous), cette abstention massive est révélatrice d’un nouveau rapport des jeunes à la politique, ceux-ci ne reconnaissant plus l’élection comme le moyen d’exercer leur citoyenneté. Ils seraient même prêts à tourner la page de notre démocratie représentative actuelle. Ainsi, 61 % des jeunes interrogés dans l’enquête "Une jeunesse plurielle" se déclarent « mal représentés par les députés » et 69 % pensent que « les responsables politiques sont corrompus ». Dans son ouvrage "Politiquement jeune", la sociologue Anne Muxel parle d’une « érosion de la confiance dans les institutions de la démocratie représentative (qui) se traduit par une détérioration de la participation démocratique classique : participation électorale, militantisme partisan... »

Des jeunes engagés autrement

Si les jeunes participent de moins en moins à la vie politique traditionnelle, ils s’engagent néanmoins dans la vie de la cité. Mais ils aspirent à le faire autrement. « Les jeunes sont dépolitisés, mais ils ne sont pas désengagés, souligne Frédéric Dabi, auteur d’une grande enquête d’opinion sur les 18-30 ans (3). Ils sont plus dans une logique individuelle sur le mode "qui mieux que moi peut faire avancer ma cause". Ils s’engagent plutôt dans des mouvements associatifs, dans des collectifs pour le climat ou pour l’égalité hommes-femmes. Pour les jeunes d’aujourd’hui, les solutions ne se trouvent plus uniquement dans la sphère politique. »

Des initiatives pour réconcilier jeunes et politique

L’éducation à la citoyenneté commence bien sûr à l’école. Mais les jeunes d’aujourd’hui, nés avec les nouvelles technologies, ont appris à s’informer autrement. Des chaînes YouTube, comme celle d’Hugo Travers (630 000 abonnés), décryptent pour eux l’actualité politique en utilisant le ton et les codes adaptés aux jeunes. Autre exemple : lors de l’élection présidentielle, l’application Elyze, conçue par un étudiant bordelais, proposait aux jeunes de savoir, en quelques clics, de quels candidats ceux-ci étaient le plus proches en réagissant à une série de propositions. De son côté, l’ONG « A voté », indépendante et non partisane, s’est donnée pour mission de réconcilier les jeunes avec le vote en levant les freins qu’ils peuvent rencontrer : où et quand voter ?, comment s’inscrire sur les listes électorales ?... Enfin, le débat autour du droit de vote dès 16 ans a également fait sa réapparition lors de campagne présidentielle afin de sensibiliser les jeunes à la politique sans attendre leur majorité. Des initiatives qui, espérons-le, redonneront envie aux plus jeunes de retrouver le chemin des urnes et plus largement de s’impliquer dans la vie citoyenne.

(1) et (4) Sondage IFOP Les jeunes et la présidentielle de 2022 réalisé pour l’ANACEJ en mars 2022 (2) Une jeunesse plurielle. Enquête auprès des 18-24 ans. Février 2022. Institut Montaigne (3) La fracture. Frédéric Dabi et Stewart Chau. Ed. Les arènes. Septembre 2021.

Deux questions à Vincent Tiberj, sociologue, spécialiste des questions électorales

Comment expliquez-vous le niveau d’abstention massif chez les jeunes ?

Nous assistons à une transformation du rapport à la politique qui touche les jeunes mais aussi les autres tranches d’âge, notamment les 40-50 ans. Cette transformation culturelle nous oblige à redéfinir ce qu’est l’abstention. Pendant longtemps, le fait de ne pas aller voter était considéré comme un défaut d’intégration, un comportement incivique. Aujourd’hui, ces populations, dont font partie les plus jeunes, veulent être citoyens, mais ne veulent pas forcément être électeurs. La culture du vote des personnes nées avant-guerre est une culture du vote par devoir. Les personnes s’en remettaient à des élites (maires, députés, président) pour diriger à leur place. C’est ce que Pierre Bourdieu appelait « la remise de soi ». C’est une culture de la verticalité qui allait très bien avec la démocratie représentative française. 

Comment se comportent les plus jeunes ?

Avec les jeunes générations, il y a une remise en question de la figure des élus qui aboutit à une remise en question du vote lui-même. Dans notre démocratie représentative à la française, les électeurs sont invités à choisir un candidat et un programme. Et ensuite, ils n’ont plus leur mot à dire. Pour les jeunes et les moins jeunes aujourd’hui, voter, c’est se faire confisquer sa voix. Le fait de manifester, de militer dans des associations, leur donne l’impression d’être beaucoup plus en capacité d’agir sur la société qu’à travers un vote. 

Le vote des jeunes à Apprentis d’Auteuil

À la fondation, le vote des jeunes s’exerce de différentes façons dans les établissements où ils sont accueillis tout au long de l’année. Ils peuvent y développer la connaissance de leurs droits et de leurs devoirs, construire avec les adultes une relation pour « Penser et agir ensemble ». Au sein des Maisons d’enfants, les conseils de vie sociale - instance obligatoire, définie par la loi du 2 mars 2002 - favorisent l’expression et la participation des jeunes pour tout ce qui concerne la vie quotidienne de leur établissement. Dans les établissements scolaires, les jeunes peuvent devenir délégué de classe . Depuis 2020, une Convention nationale des jeunes (CNJ) réunit des jeunes de différents établissements pour leur permettre de prendre la parole sur les sujets qui les concernent.

À l’occasion de la préparation du Plaidoyer 2022 d’Apprentis d’Auteuil, la fondation a lancé une démarche d’écoute approfondie des jeunes pour connaître leurs propositions sur la politique et la place des jeunes dans la société. Leurs retours ont été éloquents : « La politique n’est pas assez accessible pour les jeunes, le vocabulaire beaucoup trop technique » . Selon eux il faudrait « créer des groupes de parole, des débats dans les établissements scolaires sur le thème de la politique », « faire plus souvent des groupes de parole ».  Ou encore : « faire venir des députés dans les établissements. » 

Enfin, lors de l’élection présidentielle, des jeunes de la fondation ont également participé au projet « Ta voix compte ». Ce projet initié par Ashoka a permis de soumettre aux candidats 15 propositions élaborées par les jeunes afin qu’ils les intègrent dans leur programme.