Education et scolarité

Tarik Sahibeddine, ancien boxeur et éducateur : "Le sport est un formidable vecteur d'insertion"

Pulvérisant les unes après les autres les barrières sociales et brisant les préjugés, le boxeur Tarik Sahibeddine s’est hissé sur la plus haute marche du podium avant de devenir éducateur auprès des jeunes en difficulté à la Maison d’enfants Sainte-Thérèse. Véritable modèle, il les initie au noble art. Portrait.

Ancien boxeur professionnel, Tarik Sahibeddine, éducateur spécialisé à la Maison d'enfants Sainte-Thérèse d'Apprentis d'Auteuil, à Paris, anime plusieurs fois par semaine un atelier boxe (c) Ilan Deutsch/Apprentis d'Auteuil
Ancien boxeur professionnel, Tarik Sahibeddine, éducateur spécialisé à la Maison d'enfants Sainte-Thérèse d'Apprentis d'Auteuil, à Paris, anime plusieurs fois par semaine un atelier boxe (c) Ilan Deutsch/Apprentis d'Auteuil

« On travaille les quadriceps. Allez ! On lâche rien. On respire ! Tant qu’on est chaud, on évite les blessures ! On récupère, on souffle. » Ce soir-là, dix jeunes accueillis dans les unités de la Maison d’enfants Sainte-Thérèse s’échauffent avec rigueur dans le gymnase, guidés par Tarik Sahibeddine.
Si les participants savent que l’homme à la voix de stentor, la cinquantaine athlétique, est éducateur à l’unité Rosa Parks, ils n’ignorent pas qu’il est aussi l’un des plus grand boxeur professionnel dans l'hexagone, couronné d’un double titre de champion de France, prêt à les initier humblement à sa discipline.
Trois soirs par semaine, Djigui, Baran, Mohamed, Ibrahim et leurs camarades, sont à l’heure à l’atelier lancé pendant le premier confinement « pour leur permettre d’évacuer leur stress et de se défouler », explique Tarik, mais aussi pour leur faire découvrir les valeurs du noble art. « La boxe éducative, ce n’est pas de la bagarre. Les jeunes acquièrent de la technique, ce qui leur permet de ne pas se blesser ni de blesser. Ils ne doivent en aucun cas montrer une quelconque forme d'agressivité. Ce sport nécessite du courage et de la vaillance, mais aussi de l’humilité. Il ne faut jamais juger l’adversaire sur son apparence. La discipline permet aussi de travailler des valeurs positives comme la confiance, la maturité, le sang-froid, l’estime de soi et le dépassement de soi physique et mental. »

Le rêve d’Apprentis d’Auteuil

D’origine marocaine, une tête de lion, emblème du pays, tatoué sur la poitrine, Tarik a grandi à Bordeaux dans un quartier dit sensible en pratiquant le foot, la natation, le demi-fond, avant d’enfiler les gants. « Je n’étais pas fait pour l’école. J’avais comme objectif de réussir sur le plan sportif ».
Mais des bagarres de rue et des démêlés avec la justice noircissent son parcours. La boxe le remet sur le droit chemin. « J’ai trouvé la paix en moi. Ce sport a été une très belle thérapie. Il a réparé des maux. J’ai aussi prouvé qu’avec le travail et le sacrifice tout est possible. »
Il y a une vingtaine d’années, en même temps qu’il passe professionnel, il devient animateur sportif dans un quartier prioritaire de Bordeaux. Son souhait ? Devenir éducateur auprès des jeunes en difficulté. « Je suis à l’aise avec eux. Je connais leurs problématiques, leur souffrance. Ils respectent mon parcours et mes conseils. Ils s’identifient à moi car ils savent que j’ai vécu des échecs scolaires, que j’ai grandi dans un quartier difficile, que j’ai connu la délinquance ».
Brevet d’éducateur sportif en poche, Tarik débute dans un centre éducatif renforcé à Bordeaux avant d’ouvrir une salle de boxe à Bagnolet, puis d’intégrer Apprentis d’Auteuil en 2017, d’abord à la Maison Saint-Joseph près de Bordeaux, puis à l’unité Rosa Parks de la Maison d’enfants Sainte-Thérèse depuis 2018. « Apprentis d’Auteuil, c’est une finalité pour moi. Un rêve qui se réalise. Je voulais travailler dans l’Aide sociale à l’enfance pour réellement accompagner les jeunes et leur permettre de trouver une place dans la société. Aujourd’hui, je suis reconnu dans ce métier valorisant et enrichissant sur le plan humain. »

La vie comme un combat

Un accompagnement sur tous les volets de la vie du jeune, qui comprend également les démarches administratives (c) Ilan Deutsch/Apprentis d'Auteuil
Un accompagnement sur tous les volets de la vie du jeune, qui comprend également les démarches administratives (c) Ilan Deutsch/Apprentis d'Auteuil

Dans l’unité, Tarik accompagne dans leur quotidien, leur scolarité et leurs démarches administratives six jeunes âgés de 15 à 19 ans. Il perçoit son métier comme une métaphore de la boxe « Je dis aux jeunes que la vie est un combat. Tu vas prendre des coups. Tu vas être déçu. Tu vas mettre un genou à terre. Mais tu dois te relever. Il faut t’armer face à la vie. »
Pour Tarik, si le sport représente « un formidable outil pédagogique, vecteur d’insertion sociale et professionnelle », il permet aussi de nouer des liens : « Je retisse de la confiance avec les jeunes qui manquent de repères. Je leur montre qu’un adulte peut leur vouloir du bien. » À travers son rôle d’éducateur, Tarik souhaite aussi briser les préjugés : « notamment avec les familles qui ont parfois perdu la confiance en nous. Je travaille pour le bien du jeune, mais aussi de ses proches. »

Une main de fer dans un gant de velours

Tarik apprend à Baran, jeune accompagné par la Maison d'enfants Sainte-Thérèse, à perfectionner sa technique. (c) Ilan Deutsch/Apprentis d'Auteuil
Tarik apprend à Baran, jeune accompagné par la Maison d'enfants Sainte-Thérèse, à perfectionner sa technique. (c) Ilan Deutsch/Apprentis d'Auteuil

De l’enfant bagarreur qui bégayait, handicapé par sa petite taille, mais jamais vaincu, au héros très discret qu’il est devenu faisant la une de l’actualité après avoir maîtrisé un déséquilibré dans un vol Paris-Munich en 2018, sauvant les passagers, Tarik a pris comme il dit « une revanche sur la vie ».
Aujourd’hui, c’est un athlète solide et apaisé qui revient chaque jour aux fondamentaux de son métier. « Il exige souplesse et rigueur pour poser les cadres et les règles. Il faut une main de fer dans un gant de velours. Être déterminé, ne pas laisser de place au doute et ne pas se laisser intimider. Je mets toujours en avant les aspects positifs de chaque jeune, je les revalorise. Je pense me montrer juste, tant dans la gentillesse que dans la fermeté. » Homme de grande espérance, Tarik a noué un partenariat avec la Fédération française de boxe, avec le projet de développer une école de boxe. « L’insertion par le sport, c’est primordial. Nous en avons les moyens. Donc, sautons dessus ! »