Education et scolarité

Mobilisation contre le harcèlement à l’école

A l'occasion des nouvelles mesures annoncées par l'Education nationale et du Manifeste contre le harcèlement à l'école, nous republions l’interview d'Eric Debarbieux, ex délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire.

Quel est le rôle du délégué ministériel chargé de la prévention des violences scolaires ?

Eric Debarbieux : (Article publié initialement en octobre 2013, NDLR) C’est une fonction nouvelle créée en novembre dernier. Mon rôle est d’abord de conseiller l’action publique à partir des résultats de la recherche et de l’évidence scientifique sur le sujet. C’est aussi un travail d’observation car je continue à faire des enquêtes de « victimation » (les enquêtes auprès des victimes, ndlr). Mon rôle est aussi d’être dans l’action : la formation, la création d’un site internet, de fiches conseils pour les parents… Il s’agit également de créer un consensus dans la société et à l’Éducation nationale sur les actions à mener. C’est enfin gérer l’urgence quand il y a un incident dramatique pour aider à la prise en charge des victimes.

Bénéficiez-vous toujours de la même indépendance vis-à-vis du ministre de l’Éducation nationale ?

Je ne fais pas partie du cabinet du ministre mais des cadres du ministère de l’Éducation nationale. Les travaux de la délégation étant essentiellement basés sur la recherche, nous bénéficions d’une certaine indépendance. Je ne travaille pas pour un homme mais pour une cause. De toute façon, la violence scolaire n’est ni de droite, ni de gauche ! À 60 ans, je ne suis pas là pour faire carrière, mais je suis content que les idées sur lesquelles je travaille depuis si longtemps aboutissent enfin. Et qu’une équipe spécialisée à l’Éducation nationale travaille à plein temps sur le sujet.

Cela signifie-t-il que l’on prend réellement en cause ce sujet aujourd’hui ?

On a longtemps considéré que la violence à l’école venait essentiellement de l’extérieur. Que la solution viendrait de la police, de la justice ou en enfermant l’école sur elle-même. Or, on ne comprend rien au sujet si on le prend uniquement par le biais des violences spectaculaires comme nous avons pu en connaître récemment en France ou aux États-Unis. La violence à l’école est d’abord une suite de violences ordinaires et répétées. C’est ce que j’essaie de faire comprendre depuis 20 ans ! Il y a un consensus mondial des chercheurs sur le sujet. La délinquance dure reste rare en milieu scolaire. Par contre, la violence verbale répétée, les bousculades, les petites bagarres, les insultes ont des conséquences majeures.

Absentéisme, dépression, décrochage scolaire, suicide… les conséquences sont multiples ?

La recherche mondiale a montré que les conséquences en matière de santé mentale étaient très lourdes : malaise psychosomatique, dépression à long terme, tentatives de suicide… Cela génère un coût humain mais aussi social. Quand le président Obama a mis en place un plan de lutte contre le harcèlement à l’école, c’est avec l’argument qu’un dollar investi dans la prévention, c’était 5 dollars économisés sur les soins ultérieurs. 

Enfin, cela a aussi des conséquences en termes de sécurité publique : 75% des school shooters (tireurs dans les écoles, NDLR) aux États-Unis ont été des élèves harcelés et sont revenus pour se venger. Aujourd’hui, ces phénomènes de harcèlement sont démultipliés via les téléphones portables, Internet et les réseaux sociaux. Ils ne se cantonnent plus simplement à l’école mais se déplacent dans la chambre des adolescents.

Quelles sont les solutions pour lutter contre les violences scolaires ?

La formation initiale et continue des enseignants. Nous travaillons par exemple avec les Écoles du professorat et de l’éducation (ex IUFM, ndlr) pour que la prévention de la violence fasse partie de la formation initiale des enseignants. Nous devons aussi poursuivre la campagne contre le harcèlement scolaire initiée avec les Assises de la violence scolaire menées il y a deux ans. Nous voulons également donner des outils pratiques. Nous avons par exemple mis en ligne un site internet et des vidéos. Si l’on veut réussir, les actions doivent être constantes. Nous souhaitons également faire évoluer la campagne vers la prévention précoce, notamment dans le premier degré, via la réalisation des dessins animés à destination des enfants. La prévention du harcèlement ne doit pas commencer au collège mais dès la maternelle. Nous préparons également des kits pédagogiques pour les enseignants et pour les parents.

Vous faites également des propositions pour une meilleure gestion des sanctions au sein des établissements scolaires.

En France, une sorte d’hypocrisie règne à ce sujet. Nous avons un très fort désir de punir, mais nous refusons de le reconnaître. Si un enfant a commis une faute, il doit être sanctionné, mais pas n’importe comment. Car une punition disproportionnée, humiliante, ou qu’un élève vit comment une injustice, vient souvent renforcer la violence au sein d’un établissement. Un travail de recherche a ainsi démontré qu’une majorité des punitions sont données aux garçons. Ils cherchent, consciemment ou inconsciemment, à être punis pour être virils et pour que l’on s’occupe d’eux.

Ces renforcements des conduites répréhensibles par les punitions vécues comme des injustices ont été très étudiés par les chercheurs québécois. Il faut à la fois que la victime soit reconnue comme telle et que l’agresseur puisse comprendre la portée de son geste et le réparer. Un élève qui a abîmé un extincteur peut par exemple ensuite aller faire un stage chez les  pompiers. La justice réparatrice permet de prononcer une sanction qui incite à comprendre. Cela ne marche pas toujours et c’est compliqué à mettre en place. Mais c’est tout sauf du laxisme car cela est beaucoup plus exigeant et plus efficace. Cela permettrait aussi de limiter le nombre très élevé d’exclusions ou d’orientations subies qui aboutissent souvent à une déscolarisation. Dans certains départements, c’est l’équivalent d’un collège entier exclu temporairement chaque jour !

Vous travaillez depuis très longtemps sur ces questions. Pourquoi vous êtes-vous intéressé à ce sujet ?

J’ai d’abord été éducateur spécialisé en foyer de semi-liberté, l’équivalent des centres éducatifs fermés d’aujourd’hui. J’ai aussi travaillé avec les familles dans le Nord de la France. Je suis ensuite devenu enseignant spécialisé et j’ai cru naïvement que cela allait être facile. Lors de ma première heure de classe, un de mes élèves s’est mis à taper sur la tête d’un autre élève avec ses chaussures de chantier ! Je me suis dit que cela n’allait pas être si simple ! Lorsque l’on est enseignant, contrairement à un éducateur, on doit gérer un groupe. Si on a un problème, il faut le régler devant les autres élèves. Je me suis donc intéressé à la pédagogie coopérative puis je suis devenu l’un des responsables nationaux du mouvement Freinet.

J’ai ensuite écrit un premier ouvrage sur la violence scolaire. J’ai alors été appelé par un collège et une école primaire qui connaissaient des problèmes de violences. Les principaux problèmes venaient des conflits d’équipe et du fait que la parole des enfants était très peu prise en compte. En 1991, mon groupe de recherche donc mis en place des enquêtes dans les établissements scolaires à leur demande. En 1996, nous avions interrogé 16 000 élèves ! Moi et mon équipe avons été reconnus comme des acteurs majeurs sur la question. En 1997, j’ai participé à une rencontre européenne sur le sujet qui a donné naissance à l’Observatoire européen puis international de la violence à l’école. Nous avons fait une première conférence mondiale à l’Unesco en 2001. Il existait une demande mondiale de partage sur le sujet.

Quels sont les traits communs entre les pays ?

Une rareté des violences les plus dures mais plutôt la prévalence de faits mineurs et répétés. La France se distingue au niveau des relations parents-enseignants où elles sont les plus explosives. L’école y est beaucoup plus repliée sur elle-même et coupée de son voisinage. Dans les autres pays, les parents sont beaucoup plus intégrés à la vie de l’école.