Education et scolarité
03 avril 2020

Héros et héroïnes du quotidien

Ils travaillent à Apprentis d'Auteuil : directeur de Maison d'enfant, responsable d'une Maison des familles, éducateur, enseignante, maîtresse de maison... En ces temps de confinement, ils se sont tous mobilisés pour poursuivre leurs missions d'accompagnement des jeunes et des familles les plus fragiles. A distance ou sur le terrain, ils agissent au quotidien. Témoignages.

Juliette Bourdot, psychologue à la Maison d'enfants Ange Gardien de Quillan (11)

Depuis 5 semaines, Juliette Bourdot accompagne psychologiquement les adolescents de la Maison d’enfants Ange Gardien située à Quillan dans l’Aude. Tous les jours, elle rencontre les jeunes qui le demandent en entretien individuel ou lors de groupes de paroles. Son objectif ? Leur faire exprimer leurs ressentis dans cette période de confinement qui peut être difficile à vivre. « Les jeunes expriment surtout des angoisses liées à l’enfermement, d’autant qu’à Quillan, nous avons été confinés une semaine avant tout le monde. Ils vivent aussi difficilement le fait de ne pas pouvoir voir leurs familles. » Les temps de paroles en groupe permettent également de dénouer les tensions qui peuvent naître entre ces jeunes qui vivent ensemble 24h/24h depuis de longues semaines maintenant. Et de répondre aux inquiétudes qui se font jour désormais autour du déconfinement.


Les points positifs

Si cette crise sanitaire inédite crée des difficultés, Juliette Bourdot y voit aussi des points positifs : « Le fait de passer beaucoup de temps ensemble au sein de la Maison a permis aux jeunes de me connaître un peu mieux en tant que personne et pas seulement à travers ma fonction de psychologue. » Que gardera-t-elle de cet événement exceptionnel ? : « Ce moment étant particulièrement anxiogène,  je me devais en tant que psychologue d’être là auprès des jeunes. Cela aura été aussi une opportunité pour moi de les découvrir autrement. J’espère sincèrement que de toute cette ombre, naîtra de la lumière. »

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Brahim Lahnine, directeur adjoint de la Maison d'enfants Joseph Wresinski à Creil (60)

Depuis six semaines maintenant, Brahim Lahnine est en première ligne. Directeur adjoint de la Maison d'enfants Joseph Wresinski située dans l'Oise, l'un des premiers foyers de contagion du coronavirus en France, Brahim a vécu le confinement avant le reste de la France. Pas simple de vivre 24h/24 avec une vingtaine de grands adolescents qui habituellement sont en cours toute la journée et qui ne peuvent rentrer chez eux du fait de leur placement en Maison d'enfants. D'autant que plusieurs éducateurs ont dû rester chez eux pour s'occuper de leurs propres enfants... et n'ont donc pas pu venir travailler. 

Passés les trois premiers jours un peu chaotiques, Brahim parvient à réorganiser la vie de la Maison. Le matin, les jeunes poursuivent tant bien que mal leur travail scolaire, et l'après-midi l'équipe organise des ateliers cuisine, théâtre ou sport dans la petite cour de l'établissement. « Le plus dur pour les jeunes est de ne pas pouvoir sortir prendre l'air ou faire du foot, témoigne Brahim.

"Mon rôle c'est d'être là auprès des jeunes"

Après six semaines de confinement, la fatigue commence à se faire sentir. Mais l'équipe tient bon ! « Nous faisons en sorte que cette situation extraordinaire, devienne ordinaire. Cette forme de routine rassure les jeunes. Ils sont reconnaissants que nous soyons restés auprès d'eux pendant ces moments difficiles, qu'on ne les aient pas "laissés tomber" comme ils disent. Une idée qui n'a même traverser l'esprit du directeur adjoint : «  Personnellement, je ne me suis pas posé la question. Même si j'ai une famille, mon rôle c'est d'être là auprès des jeunes. Cette épreuve aura au moins eu le mérite de nous rapprocher, jeunes et adultes. Les liens qui nous lient aujourd'hui sont plus forts ! »

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Fethia Boulay, maîtresse de maison, Maison d’enfants Martin-Luther-King à Saint-Denis (93)

Fethia Boulay comme une seconde maman pour les jeunes de la Maison d'enfants Martin Luther King © Apprentis d'Auteuil
"Je montre à chaque jeune comment faire son lit, nettoyer de A à Z sa chambre et sa salle de bains. Franchement, ils s'en sortent très bien !" se réjouit Fethia © Apprentis d'Auteuil

D’ordinaire, maîtresse de maison au Service accueil de jour Oasis Charles-de-Foucauld à Sevran, Fethia Boulay a accepté, sans hésiter. Son établissement fermé en raison du confinement, elle remplace une maîtresse de maison de la Maison d’enfants Martin-Luther-King à Saint-Denis, en arrêt maladie. « Comment imaginer les chambres des enfants pas faites, les salles de bains pas propres ? Franchement, je ne pouvais pas refuser » justifie-t-elle simplement.

Volontaire pour changer d'établissement

« Quand la directrice du Service d’accueil de jour m’a demandé si j’acceptais d’aller travailler à la Maison d’enfants Martin Luther-King, car une maîtresse de maison était tombée malade, je lui ai tout de suite répondu qu’il n’y avait pas de problème, se souvient Fethia Boulay. Je ne pouvais pas laisser des jeunes dans des lieux de vie sans entretien. Avec le risque de propagation du coronavirus, il faut tout laver, tout désinfecter, chaque jour. Pour que tout soit bien propre ! »
Le 23 mars, en arrivant à la Maison d’enfants de Saint-Denis, Fethia a une question en tête : « Les jeunes allaient-ils m’accepter, eux qui ne me connaissaient pas ? Franchement, je suis rassurée. Depuis le début, cela se passe très bien. »

Dès la première semaine de confinement, les journées des 3 filles de 16-17 ans et des 3 garçons de 13-15 ans hébergés dans la maison, sont organisées. Le matin, les cours via Internet. L’après-midi, les activités football et jeux de société proposées par les éducateurs.
« Je ne peux malheureusement pas les aider dans leurs devoirs, regrette Fethia. Mais je n’ai aucune crainte car les éducateurs le font très bien. Je fais attention à ce que les jeunes respectent les gestes barrière. Je les rassure aussi. »

Tout à son travail, la maîtresse de maison s’occupe du ménage, du linge, de la vaisselle, recommande à l’un de bien aérer sa chambre, conseille à l’autre de bien manger pour rester en forme. « Je montre à chaque jeune comment faire son lit, nettoyer de A à Z sa chambre et sa salle de bains. Parfois, ils ne savent pas par où commencer. Un jour, une fille m’a dit : « Merci Fethia, comme ça c’est mieux ! » Je lui ai répondu : « Bravo ! Tu t’en es très bien sortie ! » 

La reconnaissance d'un sourire

Depuis le 6 avril, jour du début des vacances scolaires en Ile-de-France, rien n’a vraiment changé pour Fethia. « Les jeunes n’ont plus de cours. Ils font un peu plus ce qu’ils veulent. Ils jouent avec leur portable, entre eux ou avec les éducateurs, ils écoutent de la musique, téléphonent parfois à leur famille, à leurs amis. Ils m’aident dès qu’ils le peuvent et me remercient. Les enfants sont très gentils avec moi. On rigole beaucoup ensemble. Jamais je ne les ai entendus parler du confinement. Ce qu’ils pensent au fond d’eux, je ne le sais pas. Mais une chose est sûre : tant que le confinement durera, si la Maison d’enfants Martin Luther King a besoin de moi, je serai là. »
 Le plus grand bonheur de Fethia ? « Voir un jeune à qui je viens de rendre service, me sourire. J’aime voir les enfants heureux ! » Et les siens que pensent-ils de leur maman ? « Mes enfants ? Ils sont grands maintenant, ils ont 24 et 26 ans, mais je les appelle toujours mes enfants. Le grand, ingénieur en traitement des eaux, m’a dit : « Tu fais quelque chose de bien. Je suis fier de toi ! » Le petit ? Rien. Mais ce n’est pas grave ! »

Apprentis d’Auteuil pour Fethia ? « Une belle et bonne surprise ! »
« Je ne pouvais pas imaginer qu’en participant au grand ménage de l’Oasis Charles-de-Foucauld avant son ouverture officielle, le 20 juin 2018, j’y travaillerai, un jour, comme maîtresse de maison ! »
L’Oasis ouvert, Fethia échange un matin avec Marine Flament, la directrice, sur son métier et le CAP petite enfance qu’elle prépare via Internet. La formation étant trop difficile et onéreuse pour elle, elle doit l'abandonner. Mais son souhait de travailler auprès d'enfants ne reste pas sans lendemain, Marine Flament lui proposant d'y travailler. « Bien sûr que je voulais travailler avec elle et les enfants, s’enthousiame encore Fethia. J’ai dit à la directrice tout ce que je savais faire : le ménage bien sûr, mais aussi la cuisine française et algérienne, mon pays d’origine. Quinze jours plus tard, j’avais un entretien d’embauche. Et le 3 septembre 2018, j’entrais à l’Oasis ! Je ne remercierai jamais assez la directrice. Je suis tellement heureuse de faire plaisir aux enfants et aux mamans. Aujourd’hui, je regrette de ne pas avoir connu Apprentis d’Auteuil plus tôt ! »

La Maison d'enfants Martin-Luther-King - Saint-Denis


Ouverte 365 jours par an, la Maison d'enfants (MECS) accueille des jeunes du département de Seine-Saint-Denis (93), à la demande de l'Aide sociale à l'enfance (ASE).

 L'établissement est composé :
 - d'un internat mixte destiné aux 8-17 ans
- d'un service d'accueil de jour mixte pour les 11-18 ans
- d'un service de placement à domicile dédié aux 0-18 ans

 

Aurélie Lefrançois, coresponsable du Havre des familles

Aurélie Lefrançois en télétravail auprès des familles © Apprentis d'Auteuil

"Depuis le début du confinement, ma collègue Justine Vincent et moi continuons notre activité auprès des familles depuis nos domiciles respectifs, en télétravail. Nous accompagnons 78 familles d’origines, de religions, de cultures, de situations sociales et professionnelles très variées. Le Havre des familles fait partie du réseau des Maisons des familles d'Apprentis d'Auteuil. Il a été créé il y a trois ans, au Havre.

Un lieu ressource au Havre

Le Havre des familles (c) DR
Le Havre des familles, un lieu d'échanges et d'entraide (c) DR

Le Havre des familles est situé dans un quartier mixte de la ville basse, à proximité de la gare, qui concentre 20 % de pauvreté et pas mal de marchands de sommeil. Beaucoup de familles y vivent en situation de précarité, dans des logements insalubres. Nous comptons aussi 40 % de familles monoparentales parmi nos habituées. Certaines perçoivent juste les prestations sociales, d’autres ont un emploi précaire, d’autres encore, des revenus plus réguliers. 

Un besoin accru de contacts

Du mardi au vendredi, notre semaine est ponctuée d’activités : échanges informels, projets communs, couture, confection et partage de repas, aide dans l’accompagnement de la scolarité des enfants, soutien scolaire, éveil des 0-3 ans. Nous organisons aussi des échanges autour de thématiques choisies par les parents, par exemple : les violences éducatives ordinaires, le sommeil, l’éducation bienveillante, les conflits au sein de la fratrie... Nous avons noué au fil des mois un lien de confiance très fort.

Aurélie Lefrançois, coresponsable du Havre des familles (c) DR
Aurélie Lefrançois, coresponsable du Havre des familles, maintient quotidiennement le lien avec les familles (c) DR

Durant la première semaine de confinement, Justine et moi nous sommes rendu compte que les familles étaient pour la plupart très isolées, que les activités pourraient leur manquer. Il était très important pour elles de voir que Le Havre des familles continuait de fonctionner. Avec l’aide de nos 11 bénévoles, nous leur téléphonons tous les jours, en particulier pour le suivi scolaire, et sommes en contact par Messenger et WhatsApp.
Nous avons aussi, en plus de notre groupe Facebook public où nous postons le programme de la semaine, créé deux groupes Facebook privés. L’un est dédié aux défis hebdomadaires : par exemple, se photographier déguisé pendant la semaine du carnaval. Ou faire des œuvres d’art avec des packs d’eau et de lait. L’autre concerne les activités quotidiennes pour rompre l’ennui : fabriquer des poissons d’avril en papier, confectionner des beignets ou des gâteaux et photographier sa production. Ces groupes Facebook permettent de faire vivre le lien noué au Havre des familles, de continuer à partager les bonnes idées. 

 Les effets du confinement

Le confinement a eu des effets positifs sur quelques familles. Il leur a permis de se poser, de s’apaiser, de prendre du recul, car elles couraient partout auparavant, entre démarches administratives, suivi des enfants, courses etc. D’autres, par contre, éprouvent beaucoup de difficultés dans le suivi des devoirs des enfants, témoignent de tensions parents-enfants. Ne pas pouvoir avoir un coin pour s’isoler, ni souffler hors de la maison, c’est très compliqué. Elles apprécient d’autant plus que Le Havre des familles soit resté en lien avec elles et n’hésitent pas à nous demander de l’aide.

La montée des violences familiales

Notre préoccupation du moment, c’est aussi la violence conjugale ou intrafamiliale exacerbée que vivent certaines familles en ces temps de confinement. Nous savons que les personnes se retrouvent démunies. Nous sommes très vigilants et à l’écoute, dans nos contacts quotidiens, sur ce qu’elles peuvent exprimer. Dans cette période un peu spéciale, nous constatons aussi la créativité des parents, les talents qui se révèlent. 

Engagée à 200 % 

Quant à moi, je n’ai pas hésité une seconde à poursuivre les activités du Havre des familles. Mon engagement est total ! Poursuivre malgré le confinement tombait sous le sens. Je ne vais certainement pas continuer ma vie de mon côté, comme si rien ne se passait. Justine et moi avons la chance de pouvoir continuer, avec les familles, en fonction de leur temps et de leurs besoins. Ces échanges et ces rencontres sont d’une grande richesse. Cela m’apporte beaucoup. Ils me permettent d’avancer dans ma mission auprès des familles, comme dans ma connaissance de leurs questionnements et de leurs préoccupations. Grâce à tout cela, je pose un nouveau regard sur mon travail

Au service des familles

Après huit ans passés dans le secteur de l’économie sociale et solidaire, en particulier, l’insertion par l’activité économique, Aurélie Lefrançois a pris en 2017 la coresponsabilité du Havre des familles, avec sa collègue Justine Vincent. Un changement d’orientation qui rejoignait ses aspirations à travailler dans le domaine de la prévention, auprès des familles.
Le Havre des familles a été créé en 2017 grâce à un partenariat entre la fondation et le Secours catholique. L’établissement bénéficie du soutien financier de la Ville du Havre, du département de Seine-Maritime, de la Caisse d’allocations familiales et du Commissariat à l’égalité des territoires.