Education et scolarité
19 mai 2020

Un ramadan 2020 pas comme les autres

FOCUS. Le ramadan 2020 s’achève ce dimanche 24 mai. Retour sur la manière dont il a été vécu dans trois établissements d’Apprentis d’Auteuil, à l’épreuve du confinement. Par Agnès Perrot.

Fondation catholique reconnue d'utilité publique, Apprentis d’Auteuil accueille les jeunes sans distinction d'origine, de culture ou de religion. Un certain nombre étant de confession musulmane, la pratique du ramadan est pour eux  - et pour tous ceux qui le souhaitent autour d'eux, croyants ou non - l’occasion d’une ouverture à la différence et d’une réflexion sur la foi.

"En conformité avec notre projet éducatif, nous sommes depuis toujours attentifs à ce que chaque jeune accueilli chez nous puisse faire lexpérience de l’intériorité, précise Amaury de Cherisey, qui coordonne la direction de l’Animation pastorale. Nous veillons en particulier à ce que les jeunes de confession musulmane bénéficient de conditions adéquates pour vivre pleinement leur démarche de foi. Et publions d'ailleurs chaque année, dans ce sens, des instructions à l'intention des équipes éducatives sur le terrain."
Une expérience vécue cette année dans des conditions de crise sanitaire, liées à la pandémie de Covid-19.

Un moment unique pour questionner sa foi

Ousmane et Coundou, deux résidents du Foyer de jeunes travailleurs Jean-Marie Vianney, entourés de Karim Ouchemoukh, éducateur (à gauche) et de Didier Garin, animateur en pastorale (sur la droite).

"Avec le confinement, le ramadan a pris une tournure inattendue, relèvent Ousmane, en apprentissage peinture en bâtiment et son ami Coundou apprenti plaquiste, 18 ans tous les deux, accueillis au  Foyer de jeunes travailleurs Jean-Marie Vianney. On a passé une grande partie de ce temps assez isolés puisqu’on n’allait plus en cours ni en stage pour la plupart. En plus, covid19 oblige, on prenait notre repas de rupture de jeûne chacun dans notre chambre. Alors que ce moment se veut, en temps ordinaire, festif et partagé. Mais on a accepté la situation et on en a profité pour prier pour les malades et les personnes décédées. Et qu'on se sorte au plus vite de ce moment difficile. Bref, ce ramadan particulier s'est finalement révélé comme une belle leçon pour apprendre à nous organiser autrement et à nous décentrer ! "

Une impression saluée et partagée par Karim Ouchemoukh, éducateur, lui même musulman pratiquant, qui s’efforce, en lien avec Didier Garin, animateur en pastorale, de donner du sens à la pratique religieuse des jeunes du FJT. "C’est vrai que, comme pour les chrétiens et les juifs qui ont célébré la fête de Pâques dans des conditions inédites, le ramadan 2020 a été particulier, soulignent les deux professionnels. Les mosquées, d’habitude particulièrement fréquentées, sont restées fermées. Les rassemblements pour la rupture du jeûne se sont révélés impossibles à mettre en place. Mais ces contraintes ont permis de faire du ramadan 2020 un moment unique pour questionner sa foi."

Et les deux travailleurs sociaux de saluer au passage la bienveillance d'une association de pratiquants voisine qui connait la situation pas toujours facile des jeunes hébergés en FJT, loin de leurs familles, et a tenu, malgré les circonstances, à venir, comme chaque année, distribuer à tous, musulmans ou non, des vrais repas améliorés deux soirées par semaine. Pour leur éviter d'avoir à cuisiner. Tous comptent d'ailleurs se retrouver ensemble pour fêter l'Aïd qui clôt le ramadan, dimanche prochain, autour d'un barbecue, en respectant les consignes anti Covid-19. 

Partage et convivialité

Gros plan sur un repas de rupture de jeûne (MECS Jacques Laval, 95)

Ambiance à la fois semblable et différente à la Maison d’enfants Jacques Laval, en région parisienne (95), un établissement qui accueille une cinquantaine d'adolescents âgés de 12 à 20 ans, répartis sur 5 unités de vie.

"Je me réjouis, souligne d’emblée Marie-Geneviève Campoy, animatrice en pastorale. Malgré l'absence de liens avec l’extérieur cette année, plusieurs étudiants de la Maison ont pu s'organiser pour vivre ensemble des temps de convivialité le soir autour des repas."

Ainsi en a-t-il été de Mohamed, 17 ans, apprenti en alternance en boulangerie, accueilli depuis deux ans à la MECS. "Je suis très reconnaissant, souligne l’adolescent. Nos éducateurs et la direction ont tout fait pour nous permettre de vivre ce ramadan 2020 dans de bonnes conditions, ce qui n’était pas le cas dans mon précédent foyer. J’ai également été touché par le fait que trois jeunes de notre groupe non musulmans (deux chrétiens et un sans pratique religieuse) acceptent de dîner plus tard pour qu’on partage ensemble, de manière conviviale, le repas de rupture du jeûne."

Solidarité et ouverture

Durant le Ramadan 2020, certains jeunes ont pu partager et échanger autour de leurs éducateurs pour mieux se connaître, approfondir leur foi et apprendre de l'autre. Ici, un des lieux de vie des établissements Notre-Dame.

Autre fait marquant sur l’établissement, faute de pouvoir cette année se déplacer à la mosquée pour rendre service, les jeunes qui en avaient l’envie, musulmans ou pas, ont pu se retrouver tous les mercredis après-midi du ramadan pour confectionner des gâteaux redistribués aux personnes dans le besoin et vivre ainsi un des cinq piliers de l’Islam.

Valérie Pugliese, éducatrice, souligne : "En équipe, nous avons été marqués par la solidarité qui a régné entre les jeunes, tous mineurs non accompagnés, et leur bon état d'esprit."

Une ouverture relevée par son collègue Mohamed Zoujaji : "Peu importe leur religion ou leurs croyances, je tiens à souligner que nos jeunes sont disponibles et demandeurs. Rendre service, faire des gâteaux pour les autres, aller servir la soupe à l’extérieur quand c’est possible, c’est pour eux un engagement et un espace de rencontre qui les sort d’eux-mêmes. On gagne toujours à aller vers l’autre."

Découvrir ce qui fait vivre l'autre

Dalal Gaudeau, éducatrice interculturelle et le père Calvin, aumônier spiritain, des établissements Notre-Dame

Le confinement arrivant, aux établissements Notre-Dame, le plus grand site d’Apprentis d’Auteuil situé en pleine nature à une cinquantaine de kilomètres de Chartres, les pères Calvin et Jean-Edmond, aumôniers spiritains de terrain, et Dalal Godeau, éducatrice interculturelle, ont réfléchi à une proposition pour que les jeunes vivent autrement ce ramadan et puissent lui donner du sens.

"L’idée d’un temps de rencontre hebdomadaire, durant cinq semaines, sur le thème de chacun des piliers de l’Islam, a rapidement pris forme, souligne Dalal, l’éducatrice. Une quarantaine de jeunes nous ont rejoints, ainsi que quelques éducateurs. Le but n’était pas de leur donner un cours, mais de leur proposer un temps d’échange et d’animation, afin que chacun puisse à la fois exprimer sa foi et apprendre de l’autre."

"Les différences sont source de richesse, complète le père Calvin. On a écouté et encouragé les jeunes, on s’est mutuellement accueillis. On a également appris à mieux nous connaître et à découvrir ce qui nous faisait vivre et faisait vivre l’autre, en lien avec nos croyances, nos religions, nos doutes et le projet éducatif d’Apprentis Auteuil. Un vrai lien de confiance s’est noué au fil du temps."

"J’ai vraiment apprécié ces rencontres, témoigne Salou, 17 ans, mineur non accompagné, en première année de CAP cuisine, dont c’était le premier ramadan hors de son pays d’origine. Partager avec des jeunes qui pensent différemment, croyants ou non, musulmans ou non, mieux connaître leurs rites et leur religion, cela enrichit énormément. Durant ce ramadan particulier, je suis sorti de ma zone de confort et j'ai appris à poser un nouveau regard sur les autres, quels qu'ils soient !"