
Les familles modestes, premières victimes de la précarité énergétique
Malgré un mode de vie souvent à faible impact sur l’environnement, les familles modestes sont les premières à être touchées par la précarité énergétique et les effets du changement climatique. Une injustice sociale qui appelle à mieux prendre en compte les plus fragiles dans le processus de la transition écologique. Par Félix Lavaux.
Que ce soit à cause du froid en hiver ou des températures caniculaires l’été, plus de 12 millions de Français se trouvent en situation de précarité énergétique. Et les choses ne vont pas en s’améliorant. Près de 12 % des Français déclarent ne pas pouvoir chauffer suffisamment leur logement par manque de moyens financiers, soit deux fois plus qu’en 2021 (1). Un chiffre auquel il faut ajouter les familles victimes des coups de chaud l’été dans ce qu’on appelle des « bouilloires thermiques ». Ces dernières années, la situation de ces familles s’est encore aggravée avec l’inflation et la guerre en Ukraine, entraînant des hausses spectaculaires du prix de l’énergie.
Des conséquences en cascade
Pour ces populations qui vivent dans des logements froids, mal isolés ou humides, les conséquences sont multiples. Les associations mobilisées sur le sujet documentent, non seulement une réduction de leur pouvoir d’achat, mais aussi une augmentation du nombre des maladies, une détérioration de la santé mentale due à l’insécurité financière et au stress.
Cette précarité énergétique a un impact sur la scolarité des enfants, qui ont des difficultés à se concentrer et à étudier dans de bonnes conditions dans ces logements. Mais aussi sur leur santé. Les chiffres sont éloquents. « 30 % des enfants qui vivent dans des passoires thermiques souffrent de sifflements respiratoires, contre 7 % dans des logements bien isolés. », soulignait Christophe Robert, délégué général de la Fondation pour le logement des défavorisés (ex Fondation Abbé Pierre), lors de la quatrième édition de la Journée contre la précarité énergétique le 12 novembre dernier.
Pour venir en aide à ces familles les plus modestes, l’État a mis en place le « chèque énergie ». Cependant, son montant, 148 euros en moyenne, est notoirement insuffisant : la facture annuelle moyenne consacrée à l’énergie avoisinait les 1 800 euros (2) en 2022...
Les autres aides, comme le « bouclier énergétique », ont été supprimées ou sont sur la sellette en ces temps de restriction budgétaire. « La précarité énergétique est à la fois une cause et une conséquence de la pauvreté, ajoute Christophe Robert. Elle va souvent de pair avec d’autres formes de précarité, la précarité alimentaire ou les difficultés de mobilité. Il y a donc urgence à agir notamment en matière rénovation thermique des logements. »
« La rénovation, le chantier du siècle. »
Beaucoup de familles en situation de précarité énergétique sont locataires de leur logement, dont les travaux de rénovation incombent aux bailleurs et aux propriétaires. Reste le cas des familles modestes, propriétaires de leur logement, et qui ne peuvent le rénover, faute de moyens. Aider ces familles, c’est précisément le rôle de Stop à l’exclusion énergétique, créée en 2020, qui regroupe des acteurs de la solidarité (Secours catholique, ATD, FACE...), des entreprises et des collectivités locales.
L’association vient en aide aux propriétaires en grande précarité qui vivent dans des passoires thermiques, en les accompagnant dans leurs démarches, du diagnostic du logement jusqu’à la recherche de financement, en passant par la sélection des artisans et le suivi des travaux. « Les propriétaires en situation de précarité sont dans l’incapacité de faire des travaux du fait de leurs faibles revenus et de la complexité des chantiers de rénovation, explique Gilles Berhault, son directeur. Notre objectif est d’accompagner 10 000 familles d’ici 2027. La précarité énergétique est LE chantier du siècle car nous œuvrons à la fois pour la justice sociale et pour la transition écologique. »
Un rapport d'alerte
Comment réussir la transition écologique en aidant les citoyens les plus pauvres ? Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CLNE) a consacré au mois de juin dernier un « rapport d’alerte » sur l’impact social de la transition écologique. Parmi les recommandations (cf. ci-dessous) de cette instance représentative placée auprès du Premier ministre : élaborer un Pacte social et environnemental pour réduire les dépenses contraintes des ménages les plus modestes. Et éviter ainsi que la précarité énergétique ne se transforme en injustice sociale.
1 et 2. Sources : Médiateur national de l’énergie, Insee, ONPE
2 questions à Nicolas Duvoux
président du CNLE (Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale), coauteur du rapport Faire de la transition un levier de l’inclusion sociale. L’impact social de l’écologie.
Pourquoi avez-vous consacré un rapport à l’impact social de la transition écologique ?
Le mouvement des Gilets jaunes a résonné comme un signal d’alerte. Il nous a fait comprendre que les mesures écologiques n’étaient pas toujours socialement positives. Elles peuvent même mettre en difficulté certains ménages. Il faut donc prendre à bras le corps cette question qui va redéfinir les politiques sociales et de solidarité dans les années à venir.
Quelles sont vos propositions ?
La rénovation des passoires thermiques dans lesquelles vivent les ménages les plus modestes permettrait d’avoir des bénéfices croisés en termes de budget, de santé et d’émissions carbone. Plus largement, il faut prendre la question sociale en amont de la construction de la transition écologique, car les familles les plus modestes sont davantage pénalisées par les politiques de transition.
Par exemple, acheter une voiture électrique ou plus récente pour baisser son bilan carbone ou moins polluer, est trop onéreux pour les ménages les plus modestes. Si vous commencez par interdire les véhicules anciens dans les zones à faible émission, avant de donner la possibilité aux catégories les plus fragiles de s’adapter, d’entrer dans la transition, vous les excluez un peu plus de la société. Mais, n’oublions pas, si la transition écologique ne se fait pas, les plus modestes seront également les grands perdants, car ils sont déjà les premiers touchés par le dérèglement climatique.
À Apprentis d’Auteuil
Sonia Benmaa, accompagnée par la Maison des familles La Halte des parents de Marseille, a participé à la rédaction du rapport du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) où elle représente Apprentis d’Auteuil et porte la voix des familles les plus modestes. « Nous sommes les premières touchées par le changement climatique : quand il fait froid, nous ne pouvons pas trop chauffer nos logements, sinon ça coûte trop cher. D’autant plus avec la hausse du prix de l’énergie ces dernières années. Quand il fait très chaud à Marseille, on ne peut pas mettre la clim, ça coûte trop cher et ce n’est pas écologique ! Les familles modestes ont des modes de vie sobre d’un point de vue climatique parce qu’elles n’ont pas le choix. Il faudrait les aider à mieux isoler leur logement. Notamment, celles qui sont propriétaires pour qu’elles n’aient pas à avancer le coût des travaux. »
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