Illustration de l'illectronisme avec Emmaüs Connect
Société

Illectronisme : et si on réduisait les fractures numériques ?

En France, près de 20 % de la population est en situation d’illectronisme. Une exclusion numérique qui ne concerne pas seulement les personnes les plus âgées. Explications.

 

Afficher le résumé facile à lire et à comprendre
En France, près de 20% de la population est en difficulté avec les outils numériques. Cette fracture numérique ne touche pas seulement les personnes les plus âgées.

Acheter un billet de train. Remplir sa déclaration d’impôt. Prendre un rendez-vous chez le médecin Pour nombre de personnes, ces démarches de la vie courante sont synonymes de galère, car elles sont quasiment toutes à effectuer en ligne désormais. Selon l’INSEE (1), 17 % de la population française est en situation d’illectronisme. Né de la contraction entre illettrisme et électronique, ce néologisme apparu au début des années 2000 désigne « une maîtrise insuffisante des compétences numériques de base, nécessaires à toute personne pour effectuer de manière autonome des actes de la vie courante » (2). Pire, si l’on y ajoute les Français qui ne vont jamais ou rarement sur Internet et ceux qui éprouvent des difficultés sur le web, ce sont 13 millions de personnes qui seraient en difficulté avec le numérique dans notre pays (3).

La fracture numérique en chiffre
13
millions de personnes seraient en difficulté avec les outils numériques

Les jeunes ne sont pas épargnés

Contrairement aux idées reçues, les personnes âgées ne sont pas les seules à rencontrer des difficultés devant un écran. Les personnes peu diplômées ou vivant dans une situation sociale précaire voient Internet comme un frein plutôt qu’une aide dans la vie de tous les jours. « Les familles monoparentales sont les plus touchées, précise Jacques-François Marchandise, enseignant et chercheur, spécialiste du numérique, car elles cumulent des problèmes de précarité économique, de disponibilité, de temps et d’isolement. » Les « digital natives » (la génération née avec Internet) sont-ils à l’abri ? Pas vraiment ! Selon le baromètre du numérique 2021 (4), 36 % des 18-24 rencontreraient « au moins une difficulté en lecture, écriture ou calcul impactant leurs capacités à utiliser pleinement les outils numériques ». Un problème apparu au grand jour pendant le confinement lorsque les élèves avaient du mal à télécharger un cours ou à envoyer un mail à leur professeur.

D'affreux réfractaires au progrès ?

Inutile aussi de réduire les illectronistes à d’affreux réfractaires au progrès. « Nous sommes tous concernés, prévient Jacques-François Marchandise. Dans ces 13 millions d’illectronistes, on mélange des populations qui n’ont à voir ensemble : certaines rencontrent des difficultés pour faire leurs démarches administratives, d’autres pour lire un texte, d’autres encore ont des soucis pour appréhender la technique... Finalement, nous sommes tous en fragilité numérique à un moment ou à un autre de notre vie, tout dépend de nos usages. »

Précarité numérique

Pour lutter contre ces fractures numériques, l’État a déployé l’année dernière 4000 « conseillers numériques France services ». Leur rôle ? Proposer des ateliers d’initiation et de perfectionnement au numérique au sein des collectivités territoriales ou auprès d’acteurs associatifs ou de l’économie sociale et solidaire. « Nous faisons de l’accompagnement collectif au sein d’ateliers dans quatorze métropoles françaises, explique Simon Maréchal, responsable d’Emmaüs Connect dans les Hauts-de-France. Nous allons aussi au-devant des publics seniors, allophones ou jeunes dans les centres sociaux. Là où il y a des publics précaires, il y a de la précarité numérique. »

Le sujet est suffisamment prégnant pour que le Défenseur des droits alerte dans son rapport de 2019 « sur les risques et les dérives de la transformation numérique des services publics ». Et si la solution au tout numérique était à chercher du côté de l’humain ? « Nous sommes dans une période où la société se dématérialise à grande vitesse. Les liens se distendent. On utilise des machines pour acheter un billet de train et l’on parle avec des robots, note Simon Maréchal. L’inclusion numérique est avant tout un sujet humain. Il faut ouvrir des lieux où les personnes peuvent recréer du lien autour des outils numériques. »

(1) Chiffres 2019
(2) Agence nationale de lutte contre l'illettrisme
(3) Mission société numérique 2018
(4) ARCEP

Texte : Félix LAVAUX Photo : Emmaüs connect

Deux questions à Élie Maroun, chargé de mission numérique à l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI)

Quelles sont les conséquences de l’illectronisme ?

L’illettrisme (difficulté pour lire, écrire, compter) empêche les personnes d’être autonomes dans la vie de tous les jours. Or, être autonome en 2022, c’est aussi avoir les compétences suffisantes pour maîtriser les outils numériques. C’est pourquoi je préfère le terme d’illettrisme numérique à celui d’illectronisme. Aujourd’hui, remplir un dossier d’assurance, faire une démarche administrative, prendre un ticket de métro nécessite d’avoir un minimum de compétences numériques. Le numérique a imprégné aujourd’hui la vie quotidienne des citoyens. Or, 13 millions de personnes n’ont pas ces compétences minimales.

Comment expliquez-vous le nombre élevé de jeunes concernés ?

Nous avons été surpris par ces 36 % de 18-24 ans qui évoquent au moins une difficulté avec les compétences de base pour utiliser les outils numériques. Les jeunes sont très connectés mais essentiellement pour un usage récréatif du numérique. Certains sont parfois incapables de remplir une déclaration d’impôt en ligne ou de faire un CV. À ces jeunes qui ont pourtant obtenu le B2i (Brevet informatique et internet, remplacé aujourd’hui par PIX, un service public en ligne pour évaluer ses compétences numériques, ndlr), il faut ajouter ceux qui se trouvent dans une situation sociale précaire ou qui sont issus d’un milieu familial peu ou pas habitué à utiliser les outils numériques.

À Apprentis d'Auteuil

La fondation a identifié les effets du numérique comme un des défis à relever et l’a inscrit dans son projet stratégique Bâtir ensemble 2022-2026. Le projet prévoit notamment de « faire des outils numériques un atout pour les enseignants et un moteur d’apprentissage et de créativité pour les jeunes. » Exemples à Nantes, au dispositif La Khaoua où un médiateur numérique accompagne soixante-dix jeunes majeurs étrangers confiés par le Département. « Ces jeunes n’ont pas été formés au numérique dans leur pays d’origine, explique Morgan Prigent. Ils sont très à l’aise avec leur smartphone pour aller sur les réseaux sociaux, mais pas pour les démarches en ligne. Nous les aidons à faire un CV, à répondre à une candidature en ligne. Certains ne connaissent pas du tout les fonctionnalités de base d’un ordinateur. Nous les aidons aussi pour les démarches en ligne : CAF, pôle emploi, permis de conduire… Bref, nous les aidons à être autonomes. »