Société

Georges Forestier, spécialiste du théâtre du XVIIe siècle : " À son époque, Molière était une star"

Spécialiste du théâtre du XVIIe siècle, Georges Forestier porte un regard nouveau sur l’œuvre de Molière en entrant dans le processus créatif du dramaturge. Un passionné, auteur d'une biographie de Molière et du volume qui lui est consacré à La Pléiade, qui puise dans les sources disponibles pour dresser un portrait de Molière débarrassé des clichés.

Nous fêtons cette année le 400e anniversaire de la naissance de Molière. Quel regard portez-vous sur ces célébrations ?

Cela a été un feu d'artifice, et comme tous les feux d'artifice, après avoir été tiré, cela s'éteint. C'est bien retombé depuis les mois de mars et d'avril. Nous sommes moins dans la célébration d’une icône nationale à laquelle tout le monde rend hommage qu’en 1922, durant la IIIe République. C’est elle qui invente l’expression « la langue de Molière ». Nous sommes véritablement dans une autre civilisation depuis le tournant du millénaire. La littérature a beaucoup reculé par rapport aux autres modes d'expression artistique. Le théâtre a reflué comme médium vocal et visuel par rapport à tout ce qui est image, séries et cinéma, mais il continue à se frayer une voie originale, parce que c’est un médium tout à fait original et irremplaçable.

Comment peut-on se glisser dans l’intimité de l’homme et du dramaturge pour écrire sa biographie quand on n’a pas de manuscrit...

Justement, on ne peut pas se glisser dans l’intimité de l’homme. On ne conservait rien à l’époque. Une fois publié, les lettres et manuscrits n’intéressaient plus personne, on les jetait. C’est à partir du XIXe qu’on a conservé tous les brouillons, autant que possible : ce siècle invente la religion du manuscrit et voit le littérateur comme un véritable héros. Le fait d’être spécialiste de la manière dont on construisait des pièces de théâtre au XVIIe siècle m’a permis d’entrer dans le cerveau du créateur. Tout était alors très codifié. On peut voir de quelle manière les auteurs se sont glissés dans ce corpus de règles, les ont utilisées ou contestées. J’ai aussi observé comment s’enchaînent les pièces, comment Molière réagit aux critiques et aux attaques. J’ai essayé de construire un personnage social, un homme de théâtre, un créateur, un individu, sans trop verser dans l’enthousiasme et dans l’admiration, mais c’est difficile de ne pas l’admirer ! Quand je relis ses pièces, les endroits qui m’ont faire rire une fois me font toujours rire.

Y a-t-il encore des archives à découvrir ?

Hélas, non. Molière étant une icône depuis le XIXe siècle, des chercheurs professionnels ou amateurs, qui se sont nommés eux-mêmes les moliéristes, sont allés écumer toutes les archives de France, tous les châteaux. On ne peut pas aller plus loin actuellement, sauf miracle. De mon côté, je suis allé exploiter les gazettes de l’époque, souvent négligées. C’est là où l’on s’aperçoit que Molière était une star. J’ai aussi exploré les registres de théâtre et un résumé qu’un bras droit de Molière a eu la bonne idée de faire à la fin de sa vie. Quand on met en lien tout cela, on arrive à avoir un certain nombre de facettes de l’homme, une idée la moins fausse possible.

Comment avez-vous été embarqué par Molière ?

Le hasard... J’ai eu la chance d’être envoyé dans l’université prestigieuse, très ancienne, de Coimbra au Portugal dans le cadre du service national de la coopération et de me voir confier, en tant qu’agrégé, un cours de littérature sur le XVIIe siècle. J'y ai mis L'Illusion comique de Corneille et L'Impromptu de Versailles de Molière. Cela m’a donné envie de creuser en faisant une thèse sur « Le théâtre dans le théâtre », comment on fait pour mettre une pièce dans une autre pièce. C’est comme cela que je suis tombé dans la marmite du XVIIe siècle. Je me suis passionné car j'aime bien les histoires de démontage,remontage, de mécano, de structure littéraire.
 

Il était populaire chez les grands. L’était-il aussi dans les couches populaires ?

Ah non, parce qu’au XVIIe siècle, les couches populaires n’avaient pas plus les moyens qu’aujourd’hui d’aller dans les théâtres qui ont pignon sur rue. À la création d’une pièce, la place la moins chère – au parterre, debout devant la scène - coûtait une livre et demi. Or un ouvrier gagnait cinquante à soixante livres par an ! Ce que l’on appelle le peuple qui était debout, au parterre, c’était la bourgeoisie commerçante du quartier des Halles, de la rue Saint-Denis. Molière auteur populaire, c’est une invention du XIXe siècle. Les grandes troupes comme celles auxquelles Molière a appartenu étaient protégées par des grands seigneurs. Elles voyageaient en carrosse, passaient des contrats avec des voituriers pour les bagages, les décors etc. Ils jouaient dans des châteaux à la campagne, et dans les villes, dans des salles de jeu de paume transformées en théâtres, pour lesquelles on payait cher,. Ils ne jouaient jamais en plein air ou dans des granges.

Comment intéresser les plus jeunes à son œuvre ?

Pour un public jeune, peu armé pour la lecture par la tradition familiale, il faut commencer par les pièces les plus puissamment et immédiatement comiques : Les Fourberies de Scapin, Le Bourgeois gentilhomme, Le Malade imaginaire... L’humour de Molière correspond à celui de nos humoristes d’aujourd’hui, ceux qui font des stand-up et se moquent de nos comportements, de nos tics de langage, de nos habitudes, de nos exagérations !
 

L'ENFANCE DE GEORGES FORESTIER
Mon enfance explique ma démarche vis-à-vis des auteurs, car, petit, j’adorais le bricolage. La dimension démontage/remontage m’a toujours passionné. Avant les Lego, nous avions des Mécano, des tiges de fer avec des vis pour fabriquer des maisons, des tours, des grues. J’aimais fabriquer des objets, des machines, faire des soudures sur des aiguillages de train électrique. J’ai eu un blocage en mathématiques. Mon goût pour la lecture et la littérature s’est amplifié. Additionné à ma passion pour l’ingénierie, il a fait du petit garçon que j’étais un spécialiste du théâtre du XVIIe siècle de Molière.

Dates clés
1976-1978 part enseigner la littérature française à l’université de Coimbra (Portugal)
1980 passe son doctorat sur le théâtre français du 17e siècle
1991 Arrive à la Sorbonne pour enseigner le théâtre français du 17e siècle
1999-2010 Publie successivement les Œuvres de Racine et de Molière dans La Pléiade
2017 crée le « Théâtre Molière Sorbonne » (école et troupe de théâtre pour jouer « à l’ancienne » les pièces de Molière)