Société

Dominique de Saint-Mars : « Max et Lili aident les enfants à mieux s'accepter. »

ENTRETIEN. Grâce à Max et Lili, les héros de sa collection « Ainsi va la vie » et ses mots justes qui traitent de sujets parfois graves, Dominique de Saint-Mars contribue depuis bientôt trente ans à changer le regard de milliers d’enfants et de leurs parents sur les petits et gros tracas de nos vies. Propos recueillis par Agnès Perrot.

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Avec ses 20 millions d'albums vendus, Dominique de Saint-Mars est en tête des auteurs jeunesse les plus lus et empruntés en bibliothèque. Rencontre.

Comment est née votre série Max et Lili ?

(c) Editions Calligram

Après un cursus en sociologie à l’université, j’ai travaillé pendant 15 ans, de 1981 à 1996, comme journaliste au magazine Astrapi de Bayard, destiné aux enfants de 7 à 11 ans. Jeune mère de famille, j'y tenais notamment, et avec un grand plaisir, la rubrique psychologie sur les relations parents-enfants.

Au bout d’un moment, l’appel à créer une collection de petits livres qui parlerait des émotions des enfants de cet âge particulier s’est imposé en moi comme une évidence. Ce serait un format BD, avec un frère et une sœur comme héros, et ils pourraient dire tout ce qu’ils pensent de la vie.

J'ai proposé tout naturellement à mon collègue Serge Bloch, dessinateur et directeur artistique d'Astrapi, dont j’appréciais énormément le travail, de s’associer à moi.

Quand Christian Gallimard et sa femme Pascale, à l’époque rédactrice en chef adjointe d'Astrapi, ont créé les éditions Calligram à Genève, je me suis dit que mon projet pourrait se concrétiser avec eux. Ce qui s’est fait !

Pourquoi cet appel ? 

L’envie de créer bien sûr, mais aussi celle de rendre service à un maximum d’enfants et à leurs parents. Avec, en arrière-plan, mon histoire personnelle. Une enfance à la fois gaie et compliquée, avec une mère orpheline à l'âge de 8 ans (ses parents avaient été tués dans un accident de voiture), le divorce de mes parents quand j’ai eu 11 ans et la présence, dans ma fratrie, d’un frère aîné schizophrène qui s’est suicidé à l’âge de 33 ans. Tout cela, je l’ai compris plus tard, ne laisse pas indifférent

Je pense que mon obstination à aider, par mes livres, les enfants à gérer leurs doutes et leurs angoisses vient de là. Ils vivent souvent des choses difficiles et à 72 ans, j’ai toujours bien du mal à supporter leurs souffrances...

À quoi servent vos livres ? 

"Max et Lili" est une BD de 40 pages petit format, souvent drôle (c'est important), qui se termine par des questions pour le jeune lecteur. Les enfants peuvent ainsi, au sein de la cellule familiale, mettre des mots sur ce qu'ils vivent. Avec ces ouvrages, je souhaite les aider à prendre davantage confiance en eux.

Être racketté, faire pipi au lit, se trouver nul, vouloir être une star, aller chez le psy ou se trouver moche, sont des questions qui les touchent tous. Il me semble que ces petits livres tout simples, et dont les personnages leur ressemblent, les aident à faire un bout de chemin en s’acceptant mieux dans leurs vies, sans aller, pour autant, forcément voir un psy...

Comment le succès vous est-il venu ? 

Les débuts de "Max et Lili" ont été assez difficiles. Le succès m'est tombé dessus en 1996. Nous étions en pleine affaire du pédophile belge Marc Dutroux. Désarmés, les parents et les enseignants se sont mis à chercher des outils pour savoir comment parler de ce sujet avec le(ur)s jeunes, sans trop les inquiéter...

Grâce notamment à un papier paru dans Libération, ils ont entendu parler de mon livre « Lili a été suivie », un des premiers titres de la collection, paru deux ans plus tôt. Certains savaient aussi que j'avais édité, pour le ministère de la Santé, des brochures sur les abus sexuels. J'ai alors été invitée sur tous les plateaux télé et les ventes des Max et Lili se sont envolées... 

Pouvez-vous nous présenter vos deux petits héros ?

(c) Editions Calligram

Max est sensible, tendre, distrait et le plus petit de sa classe, mais c'est lui qui court le plus vite. il aime la bagarre et il ne faut pas grand chose pour qu'il se sente nul...  Il a aussi une super bande de copains, un seul ennemi, Nicolas, et il est fou de jeux vidéo... Le soir, dans son lit, il a de super discussions avec Lili, sa  grande sœur avec laquelle il partage sa chambre.

ili, elle, ne se laisse pas faire. On la traite de psy de l’école. C’est vrai qu'elle aime écouter les autres et défendre les plus faibles. Elle est féministe - mais les garçons ont le droit d’exister - et présidente des « verts de terre »,  une association écolo...

Quelques mots sur votre enfance ?

J'étais une enfant espiègle et gaie, née au Maroc où j'ai vécu jusqu'à l'âge de trois ans, quatrième d'une fratrie de cinq. Mon père y était haut fonctionnaire. Je ne parlais pas beaucoup, mais j'observais mes frères et soeurs que je trouvais très capricieux et je m'étonnais de beaucoup de choses. Notre mère dansait en écoutant la radio et nous nous lancions dans des parties de poker interminables avec notre père, qui remplaçait les vrais billets par ceux du Monopoly...

Sinon, j'avais beau être petite, je ne me laissais (déjà) pas faire. Je me souviens notamment d'un déjeuner fameux - j’avais six ans - où j’ai répondu du tac au tac à ma grand-mère qui m'accusait de mentir, en la traitant en retour d’idiote devant toute la famille réunie. Nous étions 15 à table ce jour là...

Vous avez toujours aimé écrire ?

Dans le monde de la littérature jeunesse, ma vocation particulière était, je crois, prédestinée... J'ai conservé dans mes affaires un scénario que j’avais écrit - je devais avoir 7 ou 8 ans - et qui s’appelait "La maman de Sophie a un cancer". Un texte en lien avec l'histoire d'une petite fille que je connaissais dans la vraie vie et dont la maman, malade, avait fini par guérir. Un Max et Lili avant l'heure en somme…

Sinon, enfant, j'aimais beaucoup lire des journaux comme l’hebdomadaire Spirou et sa série illustrée "les belles Histoires de l'Oncle Paul". J’étais aussi très fan de tous les contes qu’on fait lire aux enfants ! 

Comment procédez-vous avec Serge Bloch ?

(c) Editions Calligram

Je lui envoie des scénarios très aboutis, après avoir détaillé la description de chaque image, avec la taille et le nombre d’images par page (deux, trois ou une selon…), l’expression des personnages, leurs émotions et le texte qui ira dans chaque bulle.

Serge réagit très rapidement et me propose un crayonné. On échange et il repasse tout à l’encre. Ensuite une coloriste met la couleur et l'éditeur, le texte dans les bulles... Dernière étape, la relecture finale. Je fais des changements jusqu'à la dernière minute… 

Le titre de votre collection que vous préférez ?

« Les parents de Zoé divorcent », le livre que j’aurais aimé avoir entre les mains enfant, lorsque mes propres parents ont divorcé...

Un mot sur vos prochains projets éditoriaux ?

(c) Editions Calligram

J'ai déjà bien avancé sur ma prochaine BD, qui devrait s'appeler "Max et Lili font les baby sitters" et sort fin février. Cette fois, le frère et la sœur enquêtent sur leurs vies de bébés, pour s’acquitter au mieux de leur mission de gardes d'enfants. Le livre parle du souvenir de sa petite enfance, pour mieux se comprendre en connaissant le bébé qu'on a été et de la façon de s'occuper d'un petit.

Je pense qu'il est important de parler aux enfants de leur vie intra-utérine et de l'importance de bien traiter les bébés. Même dans le ventre de sa mère, le bébé comprend à sa façon ce que sa maman comprend.

L’ouvrage suivant devrait traiter d'un sujet plus grave, les disputes entre les parents divorcés qui n'arrivent pas à s'entendre et les conflits de loyauté qui en résulte parfois, avec des conséquences difficiles à vivre pour les enfants.

DATES CLÉS 

1949 : naissance au Maroc 
1981 : débuts comme journaliste au magazine Astrapi
1988 :  prix Média de la Fondation pour l’enfance
1992 :  lancement de la collection « Ainsi va la vie » chez Calligram
1997 :  envolée des ventes des Max et Lili 
2021 :  en tête des auteurs jeunesse les plus lus et empruntés en bibliothèque

POUR EN SAVOIR PLUS 

À lire : dernier ouvrage paru "Max croit n'importe quoi
À écouter : un podcast 
À imprimer : des repères sur des situations à risque https://permisdeprudence.fr (pour parler des violences sexuelles et les éviter)