Plaidoyer
24 janvier 2022

Crise des métiers du social : le secteur se mobilise

Manque de reconnaissance, faible niveau des rémunérations, complexité des publics accueillis, difficultés de recrutement... Les métiers du social sont à la peine et souffrent d’un manque croissant d’attractivité. Alors que s’ouvre une semaine de mobilisation portée par le réseau Uniopss, des professionnels d'Apprentis d'Auteuil témoignent.

Aux établissements sociaux Saint-Nicolas à Saumur, le travail auprès des jeunes d'une monitrice éducatrice (c) Fabien Tijou/Apprentis d'Auteuil
Aux établissements sociaux Saint-Nicolas à Saumur, le travail auprès des jeunes d'une monitrice éducatrice. (c) Fabien Tijou/Apprentis d'Auteuil

« La crise des métiers du social, nous la vivons de plein fouet, et encore plus depuis six mois, témoigne Amélie Quénelle, directrice régionale adjointe Nord-Ouest. Nous observons un déficit de candidats pour les postes d’éducateur et de moniteur-éducateur, et l’arrivée de candidats sans formation qui répondent à ces offres d’emploi. Au mieux, ils ont de l’expérience, mais pas de diplôme. »
Cette difficulté à recruter, Luc Fossey, directeur des Relations humaines à Apprentis d’Auteuil, la remarque également au niveau national, et la lie en particulier au manque de reconnaissance de ces métiers exigeants et méconnus : « À la fondation, un grand nombre de postes sont vacants dans ces métiers-là. Ce qui n’était jamais arrivé dans l’histoire d’Apprentis d’Auteuil. »

Un manque de reconnaissance exacerbé par la crise sanitaire

Le suivi scolaire est une des missions essentielles de l'éducateur, comme ici à Mecs Saint-Jacques à La Bassée, dans le Nord. (c) Besnard/Apprentis d'Auteuil
Le suivi scolaire est également une des missions essentielles de l'éducateur, comme ici à Mecs Saint-Jacques à La Bassée, dans le Nord. (c) Besnard/Apprentis d'Auteuil

Une des raisons de la crise trouve ainsi ses racines dans la méconnaissance des métiers du social. Alors que le travail des personnels soignants, mis à rude épreuve durant la crise sanitaire, a été très vite mis en lumière, celui des personnels du secteur social est resté dans l’ombre, ignoré du grand public. La fatigue et l’essoufflement se font sentir. « Nous n’avons pas l’habitude de parler de nos difficultés, reconnaît Élodie Vaugouin, monitrice-éducatrice à la Mecs Saint-Nicolas de Saumur, et pourtant, les différents confinements ont été très compliqués à vivre. Nous avons le sentiment que le travail fait pendant cette période n’a pas été reconnu à sa juste valeur. »
Delphine Abrantes, adjointe de direction à la Mecs Saint-Charles (78), observe également les difficultés de recrutement d’éducateurs et d’éducatrices accrues depuis le début de la pandémie, et souligne : « Il est essentiel de revaloriser les salaires et de valoriser le sens de notre travail auprès du grand public. Nos missions, nos actions ont une importance capitale pour les citoyens d’aujourd’hui et de demain. »

Un faible niveau de salaires

Un travail exigeant qui requiert beaucoup de motivation. Ici à la Mecs Saint-François-d'Assise à Strasbourg (c) Yann Castanier/Apprentis d'Auteuil
Les éducatrices et éducateurs accompagnent les jeunes dans tous les aspects de la vie quotidienne. Ici à la Mecs Saint-François-d'Assise à Strasbourg (c) Yann Castanier/Apprentis d'Auteuil

La revalorisation salariale est un des points soulevés par le collectif porté par l’Uniopss. « Dans ce domaine, explique Luc Fossey, nous dépendons des financements que nous allouent les conseils départementaux pour la prise en charge des jeunes en protection de l’enfance. Si l’effort financier consenti par la puissance publique, via les Départements, est déjà très conséquent, il ne nous permet pas de revaloriser les salaires de manière significative. Une revalorisation importante de notre propre chef serait refusée par les conseils départementaux. Il faudrait donc que la demande de revalorisation de 183 €, alignée sur celle que le secteur de la santé a obtenue, soit acceptée au niveau national pour que nous puissions l’appliquer à la fondation. Avec l’Uniopss, nous militons, au même titre que les organisations syndicales et patronales, pour que le travail social soit reconnu à sa juste valeur par le Gouvernement. »
« Il faudrait tout d’abord mentionner la difficulté du travail, enchaîne Bruno Galy, directeur régional Sud-Est. S’ils sont choisis comme un lieu d’épanouissement, de sens et d’utilité, ces métiers de l’accueil et de la relation requièrent d’abord une forte motivation. Même si le salaire n’est pas la condition principale de l’épanouissement au travail, nous constatons un manque de reconnaissance salariale de nos professionnels dont les attentes restent fortes. »

Un travail exigeant

C’est ce que constate également Julien Lefort, éducateur spécialisé à la Mecs Providence-Miséricorde à Rouen. « La revalorisation des salaires, c’est une demande légitime, car la loi Ségur n’a concerné que les personnels soignants. Notre métier porte des responsabilités importantes qui mériteraient d’être mieux prises en compte, ainsi que la pénibilité du travail, son impact psychologique. Un autre point important concerne les spécificités des métiers de la protection de l’enfance, prises en compte par les différentes conventions (1966, 1951). Or, mes collègues me parlent d'une recherche de nivellement dans les politiques salariales qui tend à gommer ces spécificités... »
Avec un salaire à peine au-dessus du Smic, difficile de se loger dans une grande métropole. Ceux qui travaillent en milieu rural connaissent d’autres difficultés, comme l’explique Olivier Duplan, directeur des établissements Saint-Nicolas, à Saumur : « Aujourd’hui, un moniteur-éducateur diplômé en début de carrière gagne 15 % de plus le Smic. L’écart était de 30 % il y a 20 ans ! Il faut donc revaloriser les salaires pour que les éducateurs ne se retrouvent pas en difficulté matérielle lorsqu’ils vont travailler. En milieu rural, le coût du carburant est prohibitif. Certains éducateurs ne veulent pas faire plus de 30 km par jour pour aller travailler, par peur de perdre de l’argent. »

Des besoins de formations adaptées

L'accompagnement éducatif passe aussi par le jeu, comme ici à la Mecs Saint-François-de-Sales à Marseille (c) Besnard/Apprentis d'Auteuil
L'accompagnement éducatif passe aussi par le jeu. Ici, à la Mecs Saint-François-de-Sales à Marseille (c) Besnard/Apprentis d'Auteuil

Autre thème majeur, celui des formations adaptées à l’accueil croissant de jeunes aux profils complexes, comme l’explique Marie-Dominique Lerondel, éducatrice de jeunes enfants à la Mecs Jean-Bosco du Havre : « C’est l’urgence absolue pour moi. Les jeunes nous arrivent avec des dossiers MDPH (Maison départementale pour les personnes handicapées). Certains sans dossier, et nous devons alors les monter. D'autres ont des suivis médicamenteux, des troubles de comportement, pour lesquels nous sommes peu ou pas formés. Sur un groupe de 15, un tiers au moins ont cette problématique. C’est très usant au quotidien. Il faudrait créer de nouveau services dédiés, avec des personnels formés pour cela. »

De nouvelles aspirations chez les jeunes professionnels

Dans ce contexte, difficile d’ignorer les aspirations des jeunes générations, bien différentes de celles de leurs aînés. « La question du don de soi, qui a motivé de nombreuses générations de travailleurs sociaux, est aujourd’hui compliquée à entendre chez beaucoup de jeunes professionnels, remarque Bruno Galy. Leur rapport au travail a également changé. Contrairement à leurs aînés, ils relativisent la place du travail dans leur vie et souhaitent un modèle conciliable avec la sphère privée. »
Pour Julien Lefort, la crise des métiers du social, c’est également une histoire d’engagement individuel. « Le problème est aussi sociétal, poursuit-il. Je voudrais pointer l’appauvrissement des ressources territoriales. C’est une vraie question à soulever. » Dans sa région, il y a ainsi entre deux et trois ans d’attente pour obtenir un rendez-vous avec un orthophoniste, six mois pour une admission en centre médico-psychologique (CMP), huit mois pour la constitution d’un dossier MDPH . « La liste n’est pas exhaustive. Que faire face à un enfant qui a des troubles du langage et qui doit attendre aussi longtemps, qui voit son état se dégrader, sa souffrance psychologique croître ? Et pourtant ce métier est et reste passionnant. Il faut le réinventer, se réinventer chaque jour. »