Société

Thomas d’Ansembourg, artisan de la communication non violente

Formateur, auteur et conférencier, Thomas d’Ansembourg fait de la communication non violente son cheval de bataille. Car, explique-t-il, une autre façon d’être soi et ensemble est possible. Avec du désir, de la volonté et un peu d’apprentissage.

Quelle est votre définition de la communication non violente (CNV) ?

Notre système de pensée et nos habitudes de langage sont truffés de mécanismes qui génèrent une violence très subtile, presque invisible. La communication non violente est une approche de la relation à soi, à l’autre et à la vie, qui invite chacun à éviter ce système et ces habitudes : juger, se juger, et souvent, condamner, se condamner. Ou bien, opposer les choses - "soit ceci, soit cela" - plutôt que les réconcilier. Ou encore, se donner des obligations : « Je dois faire ceci », « Je n’ai pas le choix… » Tout cela nous amène à vivre dans la contrainte plutôt que dans l’expansion, dans le devoir plutôt qu’avec le goût de vivre.

Comment vous êtes-vous intéressé, il y a 25 ans, à la CNV ?

Avocat au barreau de Bruxelles, je constatais que les conflits résultaient souvent de malentendus, d’une combinaison de « mal-exprimé » et de « mal-écouté ». Cela pouvait s’expliquer par un manque de connaissance de soi, une mauvaise gestion des émotions ou par l’incapacité à comprendre la "mécanique" de la relation humaine.
Puis, j’ai consacré dix ans de mon temps libre à une association pour les jeunes de la rue. Auprès d’eux, j’ai compris que le mal-être en général et la violence en particulier étaient l’expression d’un manque de discernement et de vocabulaire pour comprendre et exprimer ce qui se passait en soi. Je me suis formé à la méthode de CNV avec son fondateur, Marshall Rosenberg, docteur en psychologie américain.

Quels enseignements en avez-vous tirés ?

Selon Marshall Rosenberg, le processus de la CNV comprend quatre étapes : il s’agit de décrire la situation de manière objective, dire ce que je ressens, exprimer ce dont j’ai besoin et formuler une proposition d’action. Prenons l’exemple du parent fatigué qui rentre à la maison et de son enfant qui veut lui parler. Le parent peut tout d’abord décrire la situation : « J’ai passé la journée à traiter des sujets compliqués ». Ensuite son ressenti : « Je suis épuisé », puis son besoin : « J’ai envie d’avoir le temps de me retrouver ». Avant de suggérer à  l’enfant : « Veux-tu que l’on se parle dans une heure ? ».
L’idée de la CNV est de comprendre ses sentiments et ses besoins, comme ceux de l’autre. De formuler, en conséquence, une demande négociable, et au final, gagnant-gagnant. La CNV requiert de la pratique, autrement dit, un temps d’écoute attentive et bienveillante de soi afin de s’outiller pour écouter l’autre. Idéalement trois minutes, trois fois par jour. Je peux me poser les questions suivantes : comment ça va ? Qu’est-ce qui me nourrit, me déplaît ? Que dois-je transformer en moi ? Comment puis-je vivre au quotidien les valeurs auxquelles je tiens ? Cette dernière question reflète la quête intime, bien souvent inconsciente, de chacun d’entre nous : vivre une relation vraie, profonde, féconde et fluide avec soi-même, avec l’autre et avec la vie, l’univers ou Dieu, selon ses croyances. 

Quel rôle les parents doivent-ils jouer dans cet apprentissage ?

Si les parents étaient plus conscients des pièges dans lesquels ils ont été pris dans leur éducation - souvent avec les meilleures intentions de leurs propres parents - et s’ils apprenaient plus régulièrement à s’en libérer, ils transmettraient une autre façon de vivre à leurs enfants. Ils leur permettraient de devenir eux-mêmes. C’est le plus beau des cadeaux ! 
Mais nombre de parents mettent en place des mécanismes qui génèrent une violence très subtile presque invisible, dès la petite enfance. En disant par exemple : « Tu serais gentil de ranger ta chambre ». L’enfant comprend : « Je t’aime si tu ranges ta chambre ». Pour être aimé, il doit répondre à une attente, fournir des efforts. Il se produit alors l’effet cocotte-minute. Si l’enfant - tout comme l’adulte d’ailleurs - n’ose pas être lui-même, s’il est gentil, poli, s’il n’exprime ni ses colères ni ses tristesses, de peur du regard de l’autre, de la critique ou du rejet, tôt ou tard, il explose dans la violence verbale ou physique. Ou bien il implose dans la dépression ou la maladie, telle une cocotte-minute posée sur le feu du temps qui passe et qui chauffe.

L’école peut-elle lutter contre cela ?

L’école devrait contribuer à former des citoyens heureux d’être en vie, connaissant leurs talents, développant une bonne estime de soi, une grande capacité de l’accueil de la différence, capables de créer du "nous". Je parle du "grand nous" et non du "petit je". L’école devrait abandonner l’habitude de la compétition, de la célébration du meilleur qui reçoit un diplôme et les félicitations du jury. Elle devrait former le jeune pour être et non pour faire. L’amener à s’interroger : « Ce que je vis correspond-il toujours à mes priorités ? » Elle devrait susciter chez chacun un élan et lui permettre de lever les freins. L’élan pousse à donner le meilleur de soi pour le bonheur de tous. 

À lire
Cessez d’être gentil, soyez vrai !
Thomas d’Ansembourg
Illustrations d’Alexis Nouailhat
Les Éditions de L’Homme

La paix ça s’apprend - Guérir de la violence et du terrorisme
Thomas d’Ansembourg et David Van Reybrouck
Collection Domaine du possible
Éd. Actes Sud