Société

Serge Hefez : "Accordons-nous avec nous-mêmes et les autres pour vibrer ensemble"

Psychiatre et psychanalyste, Serge Hefez livre ses impressions sur la crise individuelle et collective que nous vivons. Ses raisons d’espérer et d’agir aussi.

Dans cette crise que nous traversons, que remarquez-vous chez nos concitoyens ?

De l’inquiétude, de l’anxiété et de la fébrilité. Comme, pour tout traumatisme, quelle que soit sa nature, il y a un avant et un après.
Durant cette crise, beaucoup de personnes - excepté celles empêchées par trop d’angoisse ou d’anxiété - ont eu envie de repenser les conditions de leur vie personnelle, de couple ou de famille. Les liens parents-enfants, notamment, se sont tissés autrement, dans des conversations plus fréquentes, des repas en commun, dans l’invention du quotidien. Avec, au cœur, tout ce que nous avions envie de transmettre : nos valeurs, nos projets, nos idéaux.
Mais ne soyons pas angéliques ! La crise a également généré beaucoup de tensions chez les personnes seules, dans les couples, dans les familles et dans la société. Simplement, je préfère voir le verre à moitié-plein !

Cette pandémie révèle-t-elle d'autres faiblesses et d'autres forces ?

Jusqu’au début de l’année, dans nos sociétés occidentales, nous vivions dans les mythes d’une jeunesse éternelle et d’une santé insolente, d’une toute-puissance de la médecine. Là, nous avons senti, vu, touché la mort. Cela nous a rapprochés de notre fragilité, de notre finitude, de notre humanité. Qu’est-ce qui fait de nous des êtres humains ? Tous les liens affectifs qui se nouent entre les générations, dans les familles biologiques, recomposées, élargies. Non seulement dans la tête et le cœur, mais aussi par un regard, un mot gentil, une main tendue.
La crise a également fait comprendre à beaucoup d’enfants et d’adultes que pour qu’une relation vive, il fallait pouvoir y entrer et en sortir. Pour éprouver le lien et l’amour que l’on porte aux autres et que les autres nous portent. Être toujours en relation crée un lien fusionnel plus prise de tête qu’amour. Nous devons pouvoir nous reposer, être loin du regard de l’autre, pour nous retrouver, nous accorder avec nous-mêmes avant de nous accorder avec les autres et vivre, vibrer ensemble.

Comment avez-vous vécu cette année particulière ?

Ma mère est décédée du virus dans un Ehpad. Moi-même malade de la Covid-19, je me suis demandé si j’allais traverser cette épreuve. J’en suis sorti avec l’envie de réaménager des choses dans ma vie professionnelle, autour du temps. De l’importance de l’instant présent que j’essaie de faire cultiver, depuis toujours, à mes patients. Ne pas être entravé par les souvenirs. Ne pas trop se projeter dans l’avenir. Goûter pleinement le présent. Une chose est d’en parler ; une autre est de le vivre. Vraiment.

 

L’enfance de Serge Hefez
Mon premier souvenir d’enfance est l’exil. En 1957, mes parents, mon frère et moi avons été expulsés d’Égypte pour des raisons politiques. J’avais 2 ans. Nous sommes partis en bateau pour la France, en laissant tout derrière nous. Nous nous sommes retrouvés avec mes deux-grands-mères, oncles, tantes et cousins, dans un petit trois-pièces. Le soir, nous dépliions les matelas et les grands-mères nous racontaient des histoires. C’était merveilleux ! Dans cet appartement devenu « havre d’accueil pour réfugiés », la solidarité familiale était inébranlable. Peut-être est-ce cela qui m’a donné envie de soigner ?