Société

Laurent Bayle, directeur de la Philharmonie de Paris : "La musique n'est pas élitaire !"

Laurent Bayle, directeur général de la Cité de la musique - Philharmonie de Paris, a créé le programme Démos (Dispositif d'éducation musicale et orchestrale à vocation sociale). Avec l’objectif de démocratiser la musique classique et d'en faire un facteur de réussite pour les enfants en difficulté. Rencontre.

Pouvez-vous rappeler ce qu’est Démos ?

Le programme Démos propose un apprentissage de la musique classique en orchestre à des enfants de 7 à 12 ans vivant dans des quartiers relevant de la politique de la Ville ou dans des zones rurales. Ceux-ci vivent dans des contextes familiaux, sociaux ou économiques difficiles. Chaque enfant se voit confier un instrument de musique et suit 3 à 4 heures de cours par semaine pendant trois ans minimum. Démos a un impact sur les résultats scolaires, mais permet surtout aux enfants de se mettre dans une démarche positive, d’avoir une meilleure confiance en eux, de se « reconnecter » avec la vie sociale.

Grâce à la pratique en orchestre ?

Oui car, individuellement, ces enfants en situation d’échec auraient du mal à s’approprier l’apprentissage de l’instrument. La pratique orchestrale leur permet d’agir dans un collectif. Le fait d’être en groupe les désinhibe. De plus, les enfants ne passent pas d’abord par le solfège, mais sont en relation directe avec l'instrument. Grâce à des jeux de rythme, à une dimension ludique, tous peuvent entrer dans le programme facilement.

Quelles sont les retombées pour l’enfant ?

Être responsable d’un instrument engendre un sentiment de fierté très fort pour l’enfant. Cela devient un objet qui lui appartient, dont il va prendre soin. Ce sentiment de fierté est aussi partagé par l’entourage, la famille, les copains… Ces retombées positives ont été testées depuis des années par le programme El Sistema au Venezuela, où la pratique orchestrale s’adresse à des enfants exclus du système scolaire. L’Europe a repris dans de nombreux pays cette inspiration née en Amérique latine.

Démos fonctionne aussi grâce à des partenaires en région

Nous avons des partenaires dans chaque territoire. À Marseille, nous avons un partenariat privilégié avec Apprentis d’Auteuil, à la fois bénéficiaire et opérateur du projet, et qui partage intégralement les valeurs de Démos (cf. encadrés). Dans certaines villes (Mulhouse, Pau, Strasbourg, Brest) Démos est intégré partiellement ou totalement dans le temps scolaire à titre expérimental.

Témoignage de Mah-Lone, 15 ans

"Cela fait trois ans que je suis le programme Démos à Marseille, confie Mah-Lone, 15 ans. J'ai commencé en CM2 à l'école Vitagliano et maintenant je suis en 5e. Je retourne deux fois par semaine à l'école pour retrouver l'orchestre. Je joue de l'alto. J'adore la sonorité de cet instrument ! Au début, ça été un peu difficile de faire sonner les notes, d'apprendre le solfège. Aujourd'hui, je suis vraiment content de m'être accroché. A l'école, j'étais hyperactif. Le fait de jouer en orchestre m'a aidé à me calmer, à canaliser mon énergie. Démos a joué un rôle très positif dans ma scolarité. "

Peut-on imaginer que Démos soit un jour proposé dans toutes les écoles ?

Avoir un orchestre par école nécessiterait beaucoup de moyens et de temps. Démos est donc pour l’instant expérimenté dans certaines villes et sur une partie du territoire classée en politique de la Ville. En revanche, Démos explore des pédagogies modernes comme peut le faire la pédagogie Montessori. Nous allons la codifier par écrit et en vidéo pour pouvoir l’utiliser dans d’autres contextes. Cela peut avoir des retombées très intéressantes pour les enseignants. Lorsque j’ai rencontré Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, il s’est montré très intéressé. Il m'a demandé de poursuivre ce descriptif pédagogique pour créer des passerelles avec son ministère.

Pourquoi le programme Démos vous tenait-il à cœur ?

En 2010, nous étions en train de construire la Philharmonie de Paris avec l’objectif d’ouvrir la musique classique à un nouveau public. À cette époque, beaucoup trouvait naturel de la réserver à une élite. Les uns se demandaient pourquoi un enfant en difficulté s’y intéresserait. Les autres considéraient que la musique classique, étant du passé, ne parlait pas aux jeunes. Avec Démos, je voulais donc montrer que ces propos reposent sur des idées préconçues. La musique n’est pas élitaire. C’est l’usage social que l’on en fait ! Démos a prouvé que la musique tend vers l’universel si l’on va au-delà des blocages qui traversent notre société. Avant l’adolescence, les enfants n’ont pas ce type de représentations normées. Face à Beethoven, la musique de Star Wars ou les Beatles, ils n’ont pas d’a priori.

Quel est votre rapport personnel à la musique ?

Je n'ai pas suivi de pratique instrumentale dans mon enfance. J'ai abordé la musique tardivement, en suivant des cours de musicologie. Mais c'est surtout auprès des compositeurs que j'ai découvert, juste après mes études, la portée de cet art. La musique est ambivalente. À titre individuel, elle peut être un vecteur d'élévation. On peut y trouver une forme de transcendance ou de spiritualité. Sur un plan collectif, elle s'inscrit pleinement dans la société, en épouse, voire parfois anticipe ses mutations. C'est toute sa force : sa dimension intemporelle dépasse toute fonction précise.

Pensiez-vous travailler dans le domaine de la musique lorsque vous étiez enfant ?

Non, ma vocation tardive s'est déclenchée autour de la création contemporaine. Ce n'est que plus tard que j'ai vraiment apprécié les musiques du passé et celles des différents continents. Je suis la démonstration qu'il existe de multiples façons d'aborder la musique, mais la plus belle, celle que je souhaite au plus grand nombre, est celle qui conduit les enfants à découvrir le monde des instruments.

Le programme Démos à Apprentis d'Auteuil

Depuis 2015, l'école primaire Vitagliano d'Apprentis d'Auteuil à Marseille fait du programme Démos un élément central de son projet pédagogique. il est financé par la fondation Foujita, le fonds Maranatha Partage, la fondation AG2R La Mondiale et la fondation Denibam