Société

Jean-Louis Étienne, lanceur d’alerte pour le climat

Alors que la COP 24 s'ouvre aujourd'hui en Pologne, rencontre avec Jean-Louis Étienne, l'infatigable globe-trotteur qui publie « L’Enfant qui marche », un album retraçant sa vie pour alerter les jeunes générations sur le réchauffement climatique et pour les inciter à aller « au bout de leur rêve ».

Pourquoi avoir écrit cette biographie sous forme d’album pour enfants ?

Je souhaitais leur raconter mon parcours et partager mon expérience en matière d’environnement. Je voulais également montrer que  la  formation professionnelle est une façon d’entrer très jeune dans la « vraie vie ». J’ai une formation de tourneur-fraiseur. C’est un domaine qui m’a plu car j’ai toujours été bricoleur. Ensuite, j’ai été orienté vers un bac technique et comme j’avais de bons résultats, j’ai poursuivi par des études de médecine, puis par la chirurgie.

« Va au bout de tes rêves ! », c’est le message que vous souhaitez faire passer aux jeunes. Pourquoi ?

Malgré les difficultés, il faut continuer à suivre son chemin et y consacrer du temps, du travail et de la persévérance. L’important dans la vie, c’est de « trouver le bout de la pelote » qui donnera envie ensuite de la « dévider ». Si l’on débride la créativité, l’audace, l’ambition d’un jeune, il peut ensuite exprimer tous ses talents. On peut commencer par un CAP de pâtissier et devenir Gaston Lenôtre !

Vous avez le sentiment que la formation professionnelle n’est pas assez valorisée en France ?

Oui, malheureusement pour les jeunes et pour la France ! Aujourd’hui, il n’y a plus que des écoles de commerce. Tous les chefs d’entreprise que je rencontre me disent qu’ils ne trouvent plus de jeunes formés, notamment en chaudronnerie. Or, un bon soudeur/découpeur qui travaille sur une plateforme pétrolière peut gagner 6 000 euros par mois ! Il y a des boulevards pour les jeunes formés ! Dans notre pays, on a le sentiment que la vie se fige à 15 ans en fonction des notes des élèves. C’est dramatique, cette dépréciation scolaire qui peut avoir des conséquences sur toute une vie, en particulier pour les jeunes les plus fragiles. À cet âge-là, on a surtout besoin d’être valorisé.

Les jeunes d’aujourd’hui sont-ils plus sensibles aux questions environnementales ?

J’interviens très souvent dans des écoles ou des lycées (dont plusieurs portent le nom de Jean-Louis
Étienne, NDLR). Et je constate qu’ils sont bien informés. Quasiment tous les établissements font des journées Développement durable au cours desquelles on leur parle recyclage, plastique et réchauffement climatique. Ils sont informés, mais ils ne se rendent pas vraiment compte des enjeux. Mes propres enfants par exemple, qui ont 15 et 17 ans, sont parfois désinvoltes. À la maison, je passe mon temps à éteindre les lumières derrière eux ! Et pourtant, ils sont sensibilisés à ces questions.
Les jeunes d’aujourd’hui vivent dans un monde de facilité où ils ont accès en permanence à l’énergie, à l’eau… sans avoir d’efforts à faire. C’est en grandissant qu’ils vont s’approprier réellement ces sujets, car ils n’y échapperont pas. C’est ce que j’appelle « le gène environnemental » qui se développe petit à petit grâce à l’accumulation de l’information.

Que retenez-vous du dernier rapport du GIEC (1) ?

On parle d’une augmentation de la température d’un degré et demi ou de deux degrés sur la Terre.
Cela ne dit rien à personne ! Mais si l’on fait le parallèle avec le corps humain, c’est beaucoup plus parlant. Lorsque l’on passe de 37 à 38°c, on sent déjà les effets sur notre corps. Un degré en plus à l’échelle de la planète, c’est énorme, contrairement à ce que l’on pourrait croire. L’accumulation de gaz carbonique d’origine humaine piège la chaleur comme le fait le double vitrage dans une serre ! Il faut donc tout faire pour réduire nos émissions de CO2.

Lors de vos expéditions, avez-vous pu constater les effets du dérèglement climatique ?

Il n’y a pas besoin d’aller si loin pour les voir. La fonte de la Mer de Glace dans les Alpes est dramatique ! Tous les deux ans, il faut allonger les escaliers pour y accéder tellement elle fond vite.
La traversée de l’Antarctique que j’ai faite en 1989 avec des chiens, je ne pourrais plus la faire aujourd’hui car la glace a fondu ! En 2010, lorsque j’ai survolé le pôle Nord en ballon, j’ai été surpris de voir d’immenses étendues d’eaux libres au mois d’avril ! Le réchauffement est donc une évidence.
Penser qu’il sera harmonieux et que la vie « serait moins pénible au soleil », comme chantait
Charles Aznavour, est une grave erreur. Nous allons vers une dérégulation climatique avec des cyclones plus fréquents et plus violents. Sans parler des sécheresses et des sols qui deviennent incultivables, même dans nos régions.

Que faites-vous pour sensibiliser les jeunes à ces problématiques ?

Je suis souvent invité dans les établissements scolaires. Je leur explique qu’en jetant des plastiques en mer on s’intoxique nous-mêmes, car nous sommes au bout de la chaîne alimentaire. Plutôt que de dire : « Il faut changer de paradigme ! », je préfère leur dire qu’il faut changer notre façon de vivre au quotidien. Marcher, prendre un vélo ou faire du covoiturage plutôt que d’utiliser une voiture. On peut agir ici et maintenant !

Vous préparez une nouvelle expédition pour 2021 ?

Le principe de Polar Pod est d’installer une station d’observation en Antarctique. Cette station flottante de 1 000 tonnes et de 100 mètres de long sera capable de résister aux vents violents du pôle. L’Antarctique est le principal puits de carbone de la planète car le CO2 a la capacité de se dissoudre dans l’eau froide.
Or, on ne le connaît pas bien. Le but est de rester sur place pendant deux ans et de faire des relevés afin d’améliorer les modèles climatiques. Nous allons aussi faire un inventaire de la faune grâce à la signature sonore des espèces. Enfin, nous regarderons si les microplastiques et les contaminants sont déjà arrivés là-bas.

À 72 ans, qu’est-ce qui vous pousse encore à faire des expéditions au bout du monde ?

Grâce à ces expéditions, je peux mesurer ces données dans un coin reculé de la Terre et faire avancer les sciences de la vie. Il y a aussi un défi à construire un bateau, un ballon ou une station pour vivre dans ces zones hostiles. Enfin, j’aime aussi beaucoup transmettre. J’essaye de comprendre des phénomènes complexes et de les expliquer de manière simple. Je suis un prof à ma manière. Mais moi, je ne suis pas contraint par les programmes !
 

Jean-Louis Étienne en 5 dates

  • 1946 Naissance à Vielmur-sur-Agout dans le Tarn
  • 1965 Entrée à la faculté de médecine à Toulouse
  • 1986 Premier homme à atteindre le pôle Nord en solitaire
  • 2010 Traversée de l’océan Arctique en ballon
  • 2018 Publie « L’Enfant qui marche » aux éditions Plume de carotte