Formation et insertion

Pour les galériens de l'insertion, une résidence sociale à Toulon

Ils ont 18 ans ou un peu plus. Personne pour les guider, les soutenir. Au sortir des dispositifs de protection de l’enfance, leur parcours de vie peuvent prendre un tournant radical, entre débrouille, squats, rue, centre d’hébergement d'urgence. Pour leur permettre de s’insérer de façon durable, une résidence sociale à orientation éducative (RSOE) s’est ouverte à Toulon sur un modèle original. Les explications de Frédéric Baudot, le directeur.

Quelle est l’origine de la RSOE ouverte à Toulon en juin 2020 ?

Frédéric Baudot (c) Anita de Roquefeuil/Apprentis d'Auteuil
Frédéric Baudot (c) Anita de Roquefeuil/Apprentis d'Auteuil

L’origine ? Une vieille intuition. Dans les Maisons d’enfants à caractère social, on voit quelquefois revenir de jeunes anciens. Des galériens qui n’arrivent pas à se stabiliser, qui vivent une forme de précarité, de reproduction de destin.
L’histoire de ces jeunes, c’est un parcours chaotique, parfois dès le début de leur existence. Il y a une énorme iniquité sociale. À 21 ans, voire avant, les prises en charge de l’Aide sociale à l’enfance prennent fin. Pour ces jeunes, dont certains ne peuvent se tourner vers leur famille, c’est fini ! Et c’est terrible. Je me suis dit qu’il fallait inventer quelque chose de nouveau pour ces jeunes-là, quelque chose de beau, qui donne envie, pas un foyer reproduisant les modèles qu’ils ont connus, mais une structure qui leur soit vraiment dédiée.
Les jeunes admis n’auraient aucun recours familial fiable, seulement leur potentiel et leur désir actif de s’en sortir. Nous mettrions en face d’eux une importante équipe pluridisciplinaire. C’est ce que nous avons fait, grâce au soutien de neuf financeurs publics (1), qui ont accepté de se mettre tous ensemble autour d’une même table pour travailler sur ce projet. Un fait rare en France, où nous sommes plutôt habitués à œuvrer chacun de son côté en silo. Dans trois ans, nous mènerons une étude d’impact social pour présenter nos actions au ministère des Solidarités et défendre un nouveau modèle pour un développement national. Faire école en somme.

Qu’est-ce qui caractérise cet établissement ?

C’est une résidence sociale à orientation éducative, ces deux derniers termes sont importants. Tous ces jeunes nécessitent un suivi et des réponses renforcées, tant leurs parcours ont été difficiles. Certains ont été mis à la porte de chez eux, ont été SDF. Le logement est pour nous un levier d’insertion. Les jeunes sont locataires, ils bénéficient entre autres des APL, paient leur loyer, une participation symbolique pour l’électricité, le gaz, la buanderie, Internet, pour rester dans le principe de réalité.
Ce qui caractérise aussi cet établissement, c’est son cadre. En arrivant ici, j’ai tout de suite repéré l’espace vert, le parc, le jardin cosy. Il faut que le jeune s’y sente bien, qu’il ait envie d’y vivre, qu’il se sente « normal », comme ils disent souvent. On réserve du beau à ceux qui ont eu des accidents de parcours. On inverse la logique.

Comment travaillez-vous auprès d’eux ?

Anthony, 18 ans, est accompagné dans ses démarches (c) Besnard/Apprentis d'Auteuil
Anthony, 18 ans, est accompagné dans ses démarches (c) Besnard/Apprentis d'Auteuil

La résidence bénéficie d’une équipe pluridisciplinaire de onze personnes : chargé d’insertion, conseillère en économie sociale et familiale, assistante sociale, infirmière, éducatrice protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), ouvrier hautement qualifié, adjoint de direction, assistante de direction, trois surveillants de nuit. Et moi-même à mi-temps, car je suis aussi directeur de L’Escale Saint-Elme, à La Seyne-sur-mer, qui accueille 40 mineurs non accompagnés.
Nous avons tous ont une fonction éducative. Et une approche globale du jeune, que l’on essaie d’ancrer dans le paysage social. Nous travaillons sur l’orientation, l’emploi, la santé, les démarches administratives, la citoyenneté, la culture, les loisirs. Nous avons mis en place une dizaine d’ateliers sur l’hygiène de vie, l’alimentation et les courses, les entretiens d’embauche, comment s’habiller selon les circonstances. Et un de dictée, qui réunit à chaque fois cinq à six jeunes. Nous proposons des entretiens, des espaces de rencontre et de discussion.

Comment remettez-vous les jeunes sur les rails ?

Avec du temps, tout d’abord, pour que chacun apprenne à vivre au cœur de la cité. Nous abordons tous les aspects de leur vie pour aller vers l’insertion. Nous travaillons étroitement avec l’Association départementale d’entraide des personnes accueillies en protection de l’enfance (ADEPAPE) et notre réseau de partenaires, dont la Mission locale. L’éducatrice de la PJJ nous apporte son expertise. La dynamique, c’est que, petit à petit, ce soit le jeune qui aille à la rencontre de l’équipe pour avoir des réponses à ses problèmes administratifs, de formation, de santé etc. 

Quel est votre premier bilan, après un an de fonctionnement ?

Nous avons déjà quelques premières sorties positives. Les jeunes qui sortent sont inscrits durablement dans l’emploi et ont trouvé un logement en HLM ou dans le parc privé. Il y a une urgence sociale : briser la fatalité par une action coordonnée de l’ensemble des pouvoirs publics qui participent de concert à la lutte contre les déterminismes sociaux. Les problématiques, aujourd’hui, sont les trous dans la raquette. Nous sommes obligés d’innover. Nous devons nous interroger sur les véritables besoins, sortir des sentiers battus. C’est un investissement pour l’avenir.

(1)    La Région, le Département, la Préfecture, l’Agence régionale de santé, la CAF, la PJJ, la Ville, l’agglomération Toulon Provence Méditérranée, la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS).

La résidence sociale à orientation éducative du Fort Saint-Antoine 43 places dont :
-15 Aide sociale à l’enfance
-3 Protection judiciaire de la jeunesse

Âge : 16 à 25 ans
Accueil mixte RSOE
176 boulevard Bianchi
83200 TOULON