Education et scolarité

Le confinement vu par les mineurs non accompagnés

Les mineurs non accompagnés, des jeunes arrivés sur le territoire français seuls, sans soutien ni famille, et accueillis à Apprentis d'Auteuil au titre de la protection de l'enfance, ont eux aussi traversé la crise sanitaire, le confinement. Ils vivent aujourd'hui la période transitoire du déconfinement. Récit en région parisienne et dans le Morbihan.

Á l’Accueil Saint-Dominique : entraide, bienveillance et impatience

Depuis le 23 mars, jour de sa prise de fonction comme éducatrice à l’Accueil Saint-Dominique (*) à Marcoussis (91), Anne-Élisabeth Buet accompagne douze mineurs non accompagnés (MNA) placés au titre de la protection de l’enfance. Et partage ses premières impressions sur le confinement, le déconfinement et l’après. 

« Quand je suis arrivée le 23 mars, les jeunes, originaires pour la plupart d’Afrique (Côte-d’Ivoire, Guinée et Mali) et d’Asie (Inde et Bangladesh) vivaient confinés depuis une semaine, se souvient Anne-Élisabeth. Ils acceptaient plutôt bien cette situation même s’ils n’étaient plus autorisés à aller en cours à l’extérieur, et devaient vivre 24h/24 et 7j/7 dans nos deux pavillons. » 
 

En classe de 3e, en première, en terminale dans un lycée professionnel ou en UPE2A pour ceux qui étaient arrivés en France sans parler le français, les jeunes sont restés en lien, via Internet, avec leurs enseignants durant le confinement. « Les MNA n’ont qu’une envie, souligne l’éducatrice : apprendre encore et toujours pour réussir leur vie et s’intégrer dans la société. Les professeurs attendaient beaucoup d’eux. Mais ils ne pouvaient pas être en permanence connectés à l’ordinateur. Les cartes prépayées de leur téléphone mobile se sont vite épuisées. Ils ont subi la fracture numérique. »

Des activités pédagogiques et ludiques

Deux jeunes mineurs non accompagnés entretiennent le potager qu'ils ont eux-mêmes créé © Apprentis d'Auteuil

Passionnée de bricolage, Anne-Élisabeth a proposé aux MNA de repeindre, dans chaque pavillon, la cuisine et le salon. Avec le matériel et les peintures disponibles, les garçons ont tout nettoyé, tout lessivé et tout refait, du sol au plafond. Ils ont aussi créé un petit potager et imaginé avec Yves Braga, un autre éducateur, un parcours sportif. « Les jeunes sont partants pour tout, s'enthousiasme Anne-Élisabeth. Ils ne demandent qu’à se rendre utiles et à faire plaisir. »

Entre espoir et incertitudes

Seule ombre au tableau ? Le déconfinement du 11 mai. « Ils en attendaient beaucoup plus, explique Anne-Élisabeth. Malheureusement, leurs cours en classe n’ont pas repris. Sans attestation de déplacement autorisé, ils n’ont pas pu retrouver à Paris les amis qu’ils s’étaient fait dans leur parcours migratoire. Les consulats fermés, leurs rendez-vous pour obtenir la carte consulaire ou un passeport n’ont pas été honorés. Ce flottement les a stressés. Nous les avons rassurés en leur disant que tout le monde était logé à la même enseigne. » Heureusement, Solène Morel, une éducatrice scolaire du lycée horticole Saint-Antoine, un autre établissement d’Apprentis d’Auteuil, est venue chaque jour les aider dans leurs études. Et ils ont pu faire leur footing quotidien !
Et depuis le 2 juin ? « C’est encore un peu flou, commente la directrice. Les jeunes veulent reprendre, au plus vite, le cours de la vie normale. » Si elle ne devait retenir qu’une chose de cette entrée particulière à Apprentis d’Auteuil ? « Le profond respect que m’inspirent ces jeunes. » Un exemple ? « Un jour, un jeune, excellent coiffeur, a proposé une coupe à qui voulait. En remerciement, je lui ai promis quelque chose. Il m’a stoppée net : Tu ne me rapportes rien. Ce sont mes frères ! Lors de la fête que nous avons organisée pour fêter, avec eux, la fin du ramadan, deux jeunes plutôt réservés, nous ont remerciés. C’était extrêmement touchant. » 

(*) L’accueil Saint-Dominique a été ouvert par la Maison d’enfants (MECS) Louis Roussel, à la demande de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) de l’Essonne.

Des jeunes MNA répartis dans tout le Morbihan

A la Maison d'enfants Jean-Baptiste-Scalabrini de Vannes (c) Nicolas Lacourrèges / Apprentis d'Auteuil
A la Maison d'enfants Jean-Baptiste-Scalabrini de Vannes (c) Nicolas Lacourrèges / Apprentis d'Auteuil

La Maison d’enfants Bienheureux Jean-Baptiste-Scalabrini dans le Morbihan accueille et accompagne plus de 112 mineurs non accompagnés. Particularité de cette Maison d'enfants ? Les jeunes sont logés en « diffus », c’est-à-dire, à trois ou quatre dans les appartements répartis sur tout le département à Sarzeau, Questembert, Caudan, Guidel, etc. Des bureaux permettent d’assurer la gestion de cette prise en charge, à Vannes, Lorient et Pontivy.
« Priorité est donnée à l'accompagnement de ces jeunes », explique Anne Valla, la directrice. 25 salariés œuvrent auprès d'eux, pour assurer l’accès aux dispositifs de soins, les accompagner dans leurs démarches administratives et cerner, avec eux, leur projet de formation ou professionnel. 

« Le confinement s’est plutôt bien passé, poursuit-elle, après des débuts difficiles, certains jeunes ayant mal vécu le premier discours évoquant « une guerre », et restant terrés chez eux volets fermés. Cela a réveillé des peurs énormes. Et des difficultés à s’alimenter et à dormir. » Une partie des jeunes employés dans des commerces de proximité – boulangerie, boucherie – ou chez des artisans, en métallerie, ont pu continuer à travailler. Les autres sont restés chez eux, dans les appartements, un suivi étant  assuré plusieurs fois par semaine par les éducateurs, qui avaient l’autorisation de déposer les devoirs et d’aider les jeunes pour les courses alimentaires. Téléphone, réseaux sociaux, groupes WhatsApp, tout a été déployé pour rester en lien.

Un lien qui s'est renforcé

Comme dans d’autres établissements scolaires à Apprentis d’Auteuil, les professionnels ont remarqué que les jeunes accueillis vivaient parfois de façon décalée. Un défi ? Communiquer les gestes barrières. La directrice et son équipe ont trouvé des sites indiquant en 20 langues différentes les mesures à appliquer, y compris en oromo, la langue d’un jeune Ethiopien fraîchement arrivé en France. « Il progresse à une allure folle, reconnaît Anne Valla. Il utilise des applis qui enseignent le français langue étrangère. Ces jeunes sont très motivés. Aller à l’école, c’est pour la plupart, leur rêve de toujours. Ils savent que c’est ce qui va compter dans leur parcours ici. Ils sont très demandeurs. »
Comment l’équipe de professionnels a-t-elle vécu le confinement ? « Un lien très fort s’est créé entre les éducateurs et les jeunes. Les jeunes ont bien compris l’enjeu lié au Covid-19. Ils ont malheureusement l’expérience des pandémies avec Ebola en Afrique. Les voisins se sont manifestés pour nous aider, prendre le relais sur place. C’est un bel élan que nous avons vécu. »