Education et scolarité

Garder le contact avec les jeunes les plus éloignés de l’emploi

En marge de l’école et de l’emploi, des centaines de milliers de jeunes en mal d’insertion voient leur situation aggravée par l’épidémie de coronavirus. A l’heure du confinement et de la distanciation sociale, Apprentis d’Auteuil se bat pour rester proche. Exemple à Marseille avec le programme Impact Jeunes.

On les appelle les NEETs. Un acronyme pour jeunes anonymes sortis des radars. On évalue à 1,7 million, en France, le nombre de ces jeunes de 15 à 29 ans ni en emploi, ni étudiants, ni en formation. Décrocheurs scolaires de la première heure, abonnés des boulots précaires ou recalés de Pôle emploi, ils sont surtout victimes de l’inégalité des chances qui frappe particulièrement les banlieues de France. Comme à Marseille où Apprentis d’Auteuil innove depuis 2017 pour toucher ces intouchables, inconnus des services publics de l’emploi autant que de associations locales d’insertion.

Impact Jeunes

Avec Impact Jeunes (lauréat du Plan d’investissement dans les compétences -PIC- lancé par le ministère du Travail), la fondation expérimente dans trois cités pilotes de Marseille et Tarascon (13) une méthodologie inédite visant à accompagner, de l’envie à la réussite, les jeunes de 16-30 ans les plus éloignés de l’emploi, dont 60% de jeunes NEETs.

« Pour les identifier, nos "boosters d’insertion" descendent dans la rue et jusque dans les cages d’escalier à la rencontre des jeunes en recherche d’emploi ou de formation, afin de leur proposer des solutions adaptées, en lien avec les entreprises et nos partenaires locaux,» explique Nathalie Gatellier-Vignalou, responsable du programme.

Objectif : agir dans la durée et à toutes les étapes du parcours d’insertion professionnelle des jeunes des quartiers prioritaires, en faisant le choix gagnant du décloisonnement, de l’hyper-proximité, du sur-mesure et du circuit court avec l’entreprise.

Confinés, mais connectés

Mais comment préserver cette proximité d’intervention et garder le contact en temps de confinement généralisé ? « Le fil d’Ariane, ce sont les liens de confiance et d’amitié tissés depuis trois ans avec ces jeunes, » explique Nathalie Gatellier-Vignalou. Lucile, booster Impact Jeunes au sein de la cité Félix Pyat du troisième arrondissement de Marseille, confirme : « On investit du temps pour accompagner chaque jeune, y compris physiquement, dans l’accomplissement de démarches qui, bien que longues et parfois décourageantes pour ces décrocheurs de longue durée, conditionnent le retour vers l’emploi (obtention d’une carte Vitale, ouverture d’un compte bancaire…). Puis on relit son parcours en se focalisant, non pas sur les échecs successifs, mais sur les envies et les réalisations à valoriser afin de cibler les bonnes opportunités. » Le travail se poursuit, plus que jamais en cette période de crise sanitaire. « Ce chemin réalisé ensemble avant le confinement se poursuit aujourd’hui malgré la distance. Par téléphone, bien sûr, mais aussi beaucoup via le réseau Snapchat sur lequel je prends des nouvelles et diffuse des infos. » Comme sur les droits et aides exceptionnelles accordées par le gouvernement, la mise à disposition d’ordinateurs ou encore la distribution de colis repas pour des jeunes dont les familles, déjà fragiles, se précarisent davantage.

Préparer l’après

 

Malgré ses efforts, l’équipe d’Impact Jeunes redoute la sortie prochaine du confinement. D’une part parce qu’elle craint une récession économique qui pèsera durablement sur les formations rémunérées et l’embauche des jeunes NEETs. D’autre part, parce qu’elle perçoit déjà les dommages de la crise (violences, dépression, addictions…) sur nombre de jeunes accompagnés. Une dure réalité, éclairée toutefois de belles raisons d’espérer. Comme avec Haikel, 26 ans, entrepreneur en devenir dans la restauration ambulante, qui saisit l’opportunité du confinement pour mûrir son projet professionnel et revenir à une saine hygiène de vie. C’est que, pour lui comme pour tous les jeunes NEETs, l’après se prépare dès aujourd’hui.

Impact Jeunes

  • En 2019, après seulement deux années d’expérimentation, Impact Jeunes avait déjà permis de rencontrer et d’identifier les besoins de 1 200 jeunes.
  • 800 d’entre eux ont progressé dans leur parcours.
  • 53% des jeunes NEETs accompagnés ont retrouvé une formation ou un emploi, ce qui équivaut à plus d’un demi-million d’euros d’économie pour la société.
  • En juillet 2021, le programme s’étendra à trois nouvelles cités à Marseille et Arles.

3 questions à Nathalie Gatellier-Vignalou
Responsable du programme Impact Jeunes d’Apprentis d’Auteuil

Afin de pallier les difficultés matérielles des ménages les plus modestes frappés par la crise du Covid-19, une aide financière exceptionnelle versée par la CAF a été annoncée par le Président de la République. Certains jeunes bénéficieront quant à eux d’aides spécifiques d’urgence attribuées par les Crous pour les étudiants précaires et/ou isolés.

Les jeunes NEETs, très exposés à la précarité, ne sont pas intégrés pour le moment à ce dispositif d’aide d’urgence. Comment expliquer cette décision ?

Je la regrette, même si ce public est constitué de jeunes « hors-radar » qui, par essence, demeurent inconnus de l’administration faute d’être recensés par les acteurs habituels de l’insertion.

Comment parvenir à mieux les identifier ?

En favorisant la coopération des intervenants sur le terrain au service d’une information mieux partagée par tous : acteurs associatifs, acteurs institutionnels et réseaux d’insertion. Le programme Impact Jeunes promeut ce décloisonnement et encourage en parallèle une nouvelle approche qui consiste à capter les jeunes là où ils sont, sans attendre qu’ils se présentent d’eux-mêmes là où il ne leur viendrait pas l’envie d’aller. Il n’en reste pas moins que ces jeunes n’entrent dans aucune case. Ils ne pourront donc jamais prétendre à une aide financière, quelle qu’elle soit, dès lors qu’elle est conditionnée à une situation familiale qui ouvre droit aux minimas sociaux, une formation ou encore une activité professionnelle antérieure.

Comment résoudre cette équation ?

En changeant de paradigme et en faisant le pari de la confiance. Dans le cas des jeunes NEETs, cela revient à accepter de donner à ces jeunes un coup de pouce financier sans poser au préalable de conditions ou réclamer de contreparties. Ça serait un risque à prendre, mais ces jeunes ont connu tant de désillusions qu’on ne peut attendre d’eux qu’ils fassent d’eux-mêmes le premier pas. Ils ont besoin au contraire que notre société prenne l’initiative et les encourage à se remettre en route.