Accompagnement des parents

Répondre aux besoins fondamentaux des bébés

À Apprentis d’Auteuil, de nombreux établissements accueillent des jeunes enfants âgés de 0 à 3 ans. Les équipes ont à cœur d’accompagner les familles dans les soins auprès des tout-petits et dans le développement des liens précoces. Afin qu’ils grandissent le plus sereinement possible. Illustrations.

Au Bercail, un atelier portage qui rassure parents et bébés (c) Besnard / Apprentis d'Auteuil
Au Bercail, un atelier portage qui rassure parents et bébés (c) Besnard / Apprentis d'Auteuil

Aujourd’hui mercredi, dans la salle d’activités de la résidence mère-enfant Le Bercail, à Chartres, un petit groupe est rassemblé autour de Julie, l’infirmière, et de la directrice, Ingrid Barthe. Il y a là Oumou, arrivée il y a quelques mois avec son nourrisson Mariama, aujourd’hui, une robuste petite fille âgée de huit mois qui cherche déjà à marcher. Arlette, arrivée par le numéro d’urgence 115 avec ses jumeaux de six semaines, et son mari Brice, hébergé dans un centre d’urgence pour hommes. Et deux jeunes mamans de Chartres, intéressées elles aussi par cet atelier.
Durant une séance de deux heures, les jeunes mamans (et le papa) vont apprendre différentes techniques de portage de leur tout-petit. L’infirmière, qui a été formée à cela, leur montre les différentes écharpes de portage et les sacs à dos disponibles sur le marché. Comment s’y retrouver dans ces mètres de tissu à nouer savamment autour de soi et sur les épaules ? Bientôt, chaque jeune parent s’essaie avec son nourrisson. Le succès est au rendez-vous. Les bébés, du plus jeune au plus âgé, ne tardent pas à s’endormir, réconfortés par le contact, l’odeur, la chaleur du parent. Qui, lui, a les mains libres pour vaquer à ses occupations et le bonheur de sentir son enfant paisible et en confiance.
Anecdotique ? Pas vraiment. Cet atelier portage - comme les différentes propositions du Bercail (jeux mère-enfant, massage) ou d’autres établissements d’Apprentis d’Auteuil - vise autant à rassurer l’enfant que le parent et contribue à nouer entre eux des liens forts.

Un besoin de sécurité

Un tout-petit en confiance, dans un cadre serein (c) Besnard / Apprentis d'Auteuil
Un tout-petit en confiance, dans un cadre serein (c) Besnard / Apprentis d'Auteuil

Parmi les missions de la fondation, prendre soin des tout-petits et satisfaire leurs besoins primaires, est central. Parmi eux, justement, celui de sécurité, indispensable au bébé, pour qu’il puisse sereinement explorer le monde extérieur et s’ouvrir aux autres. « Les femmes que nous accueillons au Bercail ont été victimes de violences (pour 60 %) ou bien sont en grande précarité (40 %), à la rue. Elles nous arrivent par le numéro d’urgence 115, explique Ingrid Barthe, la directrice. Nous travaillons beaucoup sur les besoins des bébés : sécurité, affectivité, rythme de vie. Au cœur de ces besoins, il y a la relation mère-enfant (et père-enfant, quand c’est possible, quand il n’y a pas eu de violence). Car toute cette insécurité affective et matérielle a des répercussions sur les enfants et se traduit dans leurs comportements. »
Ainsi, tel enfant se sentira en sécurité hors des bras de sa maman : il cherche d’autres lieux sécurisants auprès des bénévoles, des éducateurs. Un autre, au contraire, ne veut pas lâcher sa mère. Certains ne s’abandonnent pas au sommeil. D’autres font des cauchemars ou ne mangent pas bien. Certains enfants sont hyperactifs : ils bougent tout le temps, crient. D’autres au contraire, hyper adaptés : ils essaient de se faire oublier, ne réclament pas à manger, ne bougent pas, ne disent rien. « Ce ne sont pas des comportements habituels chez le petit enfant », souligne la directrice.
Pour les équipes, se pose alors un double défi : veiller à ce que le tout-petit se sente protégé, et accompagner les parents, souvent des mères seules en situation de grande précarité, dans cette prise en compte des besoins de leur enfant (voir le point de vue de Boris Cyrulnik p 11).

Aider à tisser le lien mère-enfant

Le centre maternel Samarie (77), qui accueille des jeunes filles mineures enceintes, souvent en rupture familiale, est aux premières loges sur ces thématiques. Les plus jeunes sont âgées de 14 ans. L’équipe leur offre un accompagnement, une aide matérielle, éducative et psychologique. « Samarie est un endroit pour souffler et apprendre à devenir mère quand on est adolescente, reconnaît Marjorie Loisel, auxiliaire de puériculture. Notre mission est d’entourer et d’aider ces jeunes filles à tisser le lien mère–enfant. Car être parent - quand on est soi-même pas tout à fait sorti de l’enfance, une enfance souvent compliquée avec peu de modèles parentaux - peut présenter d’énormes difficultés. »
La prise de conscience progressive de ce qu’est un bébé s’effectue au travers des soins au quotidien : bain, repas, sommeil, jeu… « Les jeunes filles  n’ont pas toujours conscience du décalage entre leurs propres besoins et ceux de leur bébé, poursuit la jeune femme. Elles ont souvent une vision un peu archaïque des besoins de leurs tout-petits, pensant qu’il s’agit surtout de les nourrir et de les faire dormir. Nous, professionnels, insistons aussi sur l’importance du regard, du jeu, de la communication avec l’enfant, même nouveau-né. Nous leur montrons l’intérêt qu’il y a à l’observer… »
L’équipe accompagne les jeunes mères dans leurs premiers pas de parent dans toutes les tâches quotidiennes, sans se substituer à elles. « Nous ne sommes pas donneurs de leçons. On demande aux jeunes filles comment elles font et en quoi elles pensent que c’est important d’agir ainsi… On est à l’écoute, on sécurise, on encourage, on respecte, on fait confiance, on valorise. Pour qu’à leur tour, les mamans fassent de même avec leur enfant. La protection des enfants commence avant leur naissance ! S’ils sont soutenus et protégés par leurs mamans, l’avenir de ces bébés sera différent… »

Un besoin de stabilité

Des liens à renforcer (c) Besnard / Apprentis d'Auteuil
Des liens à renforcer (c) Besnard / Apprentis d'Auteuil

Direction Vaulx-en-Velin, en banlieue lyonnaise. La résidence sociale Saint-Bruno insère par le logement des jeunes adultes en grande difficulté, parfois en couple, parfois avec des enfants. Chaque résident paie un loyer. Deux places d’accueil mère-enfant sont financées par la protection de l’enfance dans le cadre de la prévention. Elles hébergent des femmes dans les mois qui précèdent la naissance de leur enfant, jusqu’à ses trois ans.
La résidence est à la fois un sas de stabilisation des personnes et un tremplin pour aller de l’avant dans les démarches de formation, d’emploi, de logement. « Nous définissons avec chacun les besoins d’accompagnement, explique Jean-Nicolas Carrelet, le directeur. Et abordons les questions du travail, de la parentalité, du bien-être. En ligne de fond, celui de l’enfant. Nous avons des discussions d’adulte à adulte. Par exemple : « Je suis inquiet, tu es encore rentrée tard. Qu’est-ce que tu en penses pour ton enfant ? Au niveau du rythme du sommeil, cela a l’air compliqué. »
Dernièrement, une maman de deux jumelles de deux ans devait accoucher. L’équipe a échangé avec elle, sans stress ni pression, pour lui demander comment elle comptait s’organiser pendant son séjour à la maternité et après… Suggérant la venue d’une technicienne de vie familiale pour l’épauler avec ses trois petits. « On ouvre un espace de dialogue ! souligne Jean-Nicolas Carrelet. Le lien de confiance, ici, est primordial. J’ai parfois vu des situations préoccupantes d’adaptation, de cadre de vie, éventuellement de violence conjugale, de manque d’attention à l’enfant, d’oubli… Généralement nous arrivons à trouver des solutions. Nous avons aussi une mission d’évaluation, d’accompagnement et de transmission des informations aux services sociaux. Si quelque chose nous préoccupe, nous devons les avertir. »

Un besoin d’ouverture au monde

Dernier exemple, à la crèche La Boussole, de Toulouse, une des crèches « à vocation d’insertion professionnelle » d’Apprentis d’Auteuil « Au moins 20% de familles que nous accueillons comprend un parent en recherche d’emploi, ce sont souvent des mamans isolées, des famille en situation de précarité, détaille Irène Bykovsky-Quirion, la directrice. Quand un parent, soulagé de la garde de son enfant, trouve un emploi, nous nous sentons utiles, à ses côtés. Ces parents posent peu de questions. Quand ils le font, ils nous interrogent sur l’alimentation, la propreté, la santé de leur enfant. À chacun, nous apportons une réponse personnelle. »
Outre l’accueil classique dans les différentes unités, adapté à chaque tranche d’âge, la crèche propose une fois par mois une séance musicale avec un intervenant de l’association Eau Vive, qui présente aux enfants un instrument et les éveille à la musique. Une fois par mois également, un atelier de communication gestuelle : un intervenant conte par la parole et le geste des comptines et des chansons. « Les parents y sont invités tous les trimestres. Nous nous rendons compte que cela facilite grandement la communication entre enfants et adultes, limite les pleurs et nourrit les échanges. Quand ils nous disent : « Merci ! », « Mon enfant est heureux de venir à la crèche », « Qu’est-ce qu’il est bien ici ! », cela n’a pas de prix. Sans oublier le sourire d’un enfant qui, à lui seul, efface toutes les difficultés d’une journée ! »

Le point de vue de Boris Cyrulnik, neuropsychiatre, président de la Commission des 1000 premiers jours de l’enfant.

Pourquoi parler des « 1000 premiers jours » de l’enfant ?
Les découvertes neurologiques montrent que si l’enfant est insécurisé, s’il ne connaît ni stabilité ni richesse affectives à partir du quatrième mois de grossesse (et plus largement du début de la relation de ses parents), jusqu’à ses 24 mois, il est probable qu’il parte mal dans l’existence. Nous devons donc agir pour que ces 1000 premiers jours soient les plus constructifs et structurants possible pour l’enfant.
Cet appauvrissement affectif est souvent lié à l’isolation de la mère (elle se retrouve seule et abandonnée) à la violence conjugale et à la précarité sociale. Malheureuses par leur histoire personnelle, prisonnières de leur contexte affectif, familial, social ou culturel et de leurs difficultés financières, 23% des mères - un nombre en augmentation rapide - souffrent d’une dépression pré ou post-partum. Elles sont moins disponibles pour leur enfant, jouent moins avec lui, ne lui permettent pas d’acquérir la confiance en soi indispensable à la socialisation et à l’exploration du monde. Mais, dès l’instant où une mère se sent entourée, rassurée par son conjoint, sa famille, des professionnels de la petite enfance, elle prend plaisir à vivre avec son enfant. Et lui assure une base sécuritaire.

Qu’attendez-vous de cette commission ?
En janvier, nous présenterons des préconisations sur ce que nous, chercheurs, universitaires et praticiens, avons compris en laboratoire ou en pratique et appris des pays de l’Europe du Nord sur la nécessité d’une politique publique de la petite enfance. Autour notamment de la protection de la mère, de la présence du père, des congés de naissance… Nous partagerons ces découvertes auprès d’associations, lors de conférences, de réunions… Je crois beaucoup à la rencontre car l’émotion avive l’intelligence.