Accompagnement des parents

Accompagner les enfants qui souffrent : une psychologue témoigne

Psychologue clinicienne et psychothérapeute, Muriel Derome accompagne les enfants malades, handicapés ou en fin de vie. Et livre un témoignage d'une écoute, d'une simplicité et d'une authenticité lumineuses.

Depuis plus de vingt ans, vous accompagnez des enfants qui souffrent. Que leur dites-vous ?

Muriel Derome Photo © Agence Anne & Arnaud

À mes débuts, je pensais qu’il ne fallait pas dire certaines choses à l’enfant, pour le protéger. En réalité, l’enfant saisit la densité de ce qui se vit, la gravité de la situation, à l’approche de la mort notamment. Un enfant a besoin de connaître la vérité sur ce qui le concerne. Qu'il soit à l'hôpital Raymond Poincaré de Garches ou ailleurs.

Comment lui apprenez-vous ?

En l’aidant à mettre des mots – par un dessin, un jeu, une figurine – sur ce qu’il vit ou a vécu. Mettre des mots sur l’angoisse, la peur, permet de moins les subir. À l’aide d’une figurine, je peux simuler un arrêt cardiaque et expliquer à l’enfant ce qui a été fait pour lui et dit pendant l’opération. Puis, je lui demande ce qu’il pense, ce qu’il ressent. L’enfant comprend ainsi que je suis capable d’entendre et d’accueillir sa souffrance. Il se sent moins seul. 

Pour vous tout passe par l’attention portée à l’enfant malade, handicapé ou en fin de vie ?

Écouter, entendre un enfant, quelles que soient les circonstances, est essentiel ! Or, nous passons notre temps à nier ses émotions - « Arrête de pleurer, ne sois pas triste, ne te mets pas en colère » - alors que tout passe par l’acceptation et l’expression de la vérité.
À un enfant malade, je dis toujours : « Dans la vie, il y a deux types de personne : celles qui vivent au jour le jour et celles qui veulent savoir ce qui va se passer dans les prochaines semaines ou années. Veux-tu savoir pour demain ou pour l’avenir ? » Je m’adapte à chacun. Nous ne devons pas laisser un enfant imaginer des choses sordides, mais être simples et sincères avec lui.
Ceux qui souffrent le plus ne sont pas toujours ceux que l’on croit. Un enfant en deuil peut, à sa façon, lutter contre la dépression et donner l’impression d’aller bien en gesticulant, en rigolant, pour rassurer ses parents. Mais ce sont ses parents qui doivent prendre soin de lui, l’aider à vivre, à limiter l’impact du traumatisme. L’enfant a le droit d’aller mal. Comme des lucioles au plus profond de la nuit, les enfants malades, handicapés ou en fin de vie – héros malgré eux – diffusent une petite lumière.  

Où les enfants qui souffrent puisent-ils leur incroyable capacité à s’émerveiller de la vie ?

C’est le mystère de l’enfance ! Quand vous regardez un enfant de 2 ans, il est tout sourire. Il révèle la puissance de l’amour, la puissance de la vie. Il investit pleinement l’instant présent. Mais plus il avance en âge, plus il perd cette puissance. Qu’avons-nous fait, nous adultes, pour qu’il en soit ainsi ? Je m’interroge sur le rapport au matériel. Je crois que nous nous trompons de réponse quand nous répondons par des biens matériels. Ce qui compte c’est le lien. Être en lien, c’est sentir que l’on existe pour l’autre. 

Chaque jour, vous touchez aux souffrances des enfants. Comment vous relevez-vous ?

J’ai quatre enfants, ils me replongent très vite dans leur réalité ! Souvent, je leur demande de me raconter leur journée. Eux ne me le demandent pas. Je sais qu’ils ne veulent pas en entendre parler. Pour moi, c’est une chance d’avoir un métier qui a du sens. Je travaille avec cœur et courage. Je cherche à trouver des solutions, quitte à aller à contre-courant. Si j’ai envie de chanter une petite chanson à un enfant mourant, je le fais ! Pour me sentir en paix, ici et maintenant. Il y a des moments où j’ai le cœur en hiver. Mais l’hiver, ce n’est pas la fin de tout ! Le printemps revient. 
A lire
Le courage des lucioles, ma vie de psychologue auprès d’enfants à l’hôpital
De Muriel Derome
Éditions Philippe Rey