Sophie Galabru, philosophe
Société

Sophie Galabru, la philosophie et la famille

Dans son livre Faire famille, Sophie Galabru, agrégée et docteure en philosophie, professeure et auteure, parle de liens, de tensions, de séparations, de respect, de vitalité et d’amour. Pour permettre à chacun de mieux comprendre sa famille. Et de grandir avec.

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La philosophe Sophie Galabru a écrit Faire famille. Un livre où elle parle de liens, de tensions, de séparations, de respect, de vitalité, d’amour. Pour permettre à chacun de mieux comprendre sa famille.

Vous êtes philosophe. Quel événement vous a fait choisir cette voie ? 

Non pas un événement en particulier, plutôt une série d’événements parfois douloureux ou incompréhensibles dans ma famille et dans la vie. Ils m’ont donné envie d’avoir recours à l’analyse et aux connaissances philosophiques. La liberté de penser de mes parents m’a également nourrie et portée vers la philosophie. Et, même si j’aimais profondément mon grand-père (Michel Galabru, le comédien, ndlr), je me suis sentie emprisonnée par ce patronyme. J’ai eu envie de m’en affranchir pour développer ma voie. 

Pourquoi avez-vous intitulé votre livre Faire famille

L’emploi du verbe "faire" met l’accent sur le caractère actif que supposent la fondation et l’organisation d’une famille. 

Une famille doit pouvoir accueillir un enfant, en prendre soin, le sécuriser, l’aimer, le respecter et l’élever à sa propre émancipation. Cet exercice de composition demande des ressources, de l’énergie et de la vigilance sur un très long cours. Il faut évoluer continuellement, en changeant parfois ses manières de faire, en écoutant les besoins et les désirs de chacun, en faisant face aux restructurations : une séparation, une nouvelle alliance, un décès. 

Dans cet exercice de composition, quels rôles les parents et les enfants jouent-ils ?

Par leurs besoins, les enfants peuvent enseigner la parentalité : initier à la patience, à l’humilité, à la responsabilité. Avec beaucoup de naïveté et de spontanéité, ils peuvent demander des comptes à leurs parents sur les principes qu’ils défendent - leur disponibilité d’esprit notamment - mais qu'ils ne respectent pas vraiment. Ils incitent ainsi les parents à se remettre en question.

De leurs côtés, les parents doivent instruire, soutenir leurs enfants et non leur attribuer des fonctions thérapeutiques ou narcissiques : « Mon enfant peut me guérir », « Mon enfant peut m’offrir les triomphes que je n’ai pas eus ». Ils peuvent s’autoriser à ne pas être constamment dans un rapport d’autorité, discuter avec leurs enfants, du monde qui se joue sous leurs yeux. Curieux de tout, les enfants insufflent une forme de sagesse. 

La famille conjugue rêve et réalité, joie et tristesse, amour et haine, projet commun et libertés individuelles, transmission et séparation. Comment concilier ces extrêmes ? 

La vie en général - plus encore la vie de famille - nous oblige à apprivoiser les ambivalences que le temps, puissance de changements et de métamorphoses, charrie. L’amour, par exemple, se compose de mille et un sentiments. Il peut être nourri par la joie, l’espoir, la curiosité ou la frustration, la colère, la haine. Au fur et à mesure du temps, il s’enrichit de nuances différentes, contrastées parfois contrariées. 

Vivre, c’est apprendre ces ambivalences, accepter ces changements, prendre conscience de la puissance du temps, de l’altérité et de la liberté de l’autre. Le temps, la liberté et la mort sont des puissances plus fortes que nous. La sagesse consiste à les accepter au plus vite et à faire le deuil d’une toute puissance.

Comment parler de sagesse à une famille en difficulté ? 

Une famille en difficulté socioéconomique peut être extrêmement aimante et soutenante pour son enfant. L’amour, le respect, l’attention qu’elle lui porte, peut lui donner goût de vivre, confiance en soi et vitalité. 

Si ce n’est pas le cas, l’enfant doit, plus vite que les autres, être sa propre raison d’être. Il peut se faire aider par des "témoins lucides" comme les appelle la psychanalyste Alice Miller : un proche parent, un ami, un professeur, un éducateur qui entend sa souffrance. Un "témoin lucide" auquel l’enfant ose dire - quitte à fondre en larmes - combien il souffre. Il est alors prêt pour une vraie révolte positive. 
 

Comment voyez-vous la famille de demain ? 

La famille présente déjà mille et un visages : classique, monoparentale, séparée, divorcée, recomposée, etc. Pour accueillir et élever un enfant - une mission spirituelle, sociale et politique très prenante -, elle doit disposer de ressources inestimables : amour, respect, vitalité. Une frange de la société l’a compris. La famille ne va pas disparaître. 

Je me souviens d’avoir été très marquée et émue par l’arrivée de Charlotte, ma sœur et d’Adrien, mon frère. J’ai été contrariée de ne plus être une enfant unique. J’ai eu beaucoup à apprendre de leur venue au monde, avant d’être une grande sœur heureuse.
Le divorce de mes parents et leur séparation violente et chaotique, alors que j’avais 7 ans, a scellé la fin de l’insouciance, de l’aisance matérielle, de la liberté... la fin d’une enfance heureuse. Ma mère se retrouvant seule avec la garde complète de ses enfants, a basculé - et nous avec - dans la découverte d’une autre vie plus instable, plus compliquée.
Sophie Galabru, philosophe

Les moments-clés de Sophie Galabru

  • 15 janvier 1990 Naissance à Paris
  • 4 juillet 2014 Agrégation de philosophie 
  • 17 novembre 2018 Doctorat de philosophie à Paris 1-Sorbonne
  • 16 février 2022 Publication du premier essai Le Visage de nos colères (Éd. Flammarion), Prix lycéen du livre de philosophie
  • 12 octobre 2023 Publication de Faire Famille, Une philosophie des liens. Éd. Allary Éditions.