Portrait de la chef Alessandra Montage Gomez
Société

Alessandra Montagne Gomes, cheffe de coeur

Née au Brésil, Alessandra Montagne Gomes a ouvert son premier restaurant à 35 ans. Son parcours atypique, sa cuisine antigaspi, son engagement social et la personnalité solaire de cette cheffe de cœur font de ses restaurants des lieux hors du commun. Propos recueillis par Félix Lavaux.

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Née au Brésil, Alessandra Montagne Gomes est devenue cheffe en France à 35 ans. Dans ses restaurants, elle associe engagement social et cuisine antigaspi.

Vous êtes née au Brésil et êtes arrivée en France à l’âge de 22 ans. Qu’est-ce qui vous a poussé à venir à Paris ?

Ma mère habitait en France. Mais je la connaissais très peu parce qu’elle m’a confié à ses parents lorsque j’avais 8 jours. Au départ, je suis venue ici pour la connaître et pour apprendre le français. Je pensais rester six mois. Et cela fait vingt-trois ans !

Vous avez commencé l’apprentissage de la cuisine à 32 ans seulement. Pourquoi ?

Au début, l’idée de devenir cuisinière ne m’a même pas effleurée ! Pourtant, je cuisinais déjà beaucoup. Au Brésil, dans les milieux ruraux, les femmes sont élevées pour faire la cuisine, s’occuper de la maison et des enfants. En France, j’ai commencé par faire du baby-sitting, du ménage... Je me débrouillais comme je pouvais. Puis, j’ai rencontré mon futur mari. On recevait beaucoup de copains. On cuisinait tous les deux. J’adorais recevoir autour de grandes tablées. Les gens me disaient : « Tu devrais ouvrir un restaurant ! »  Au bout de dix ans, j’ai fini par m’inscrire à un CAP de cuisine pour adultes. C’est là que j’ai su que j’étais faite pour ça. Mais, j’avais déjà 32 ans, une petite fille. Je ne pouvais pas travailler le soir, le week-end. En 2012, j’ai donc décidé d’ouvrir mon propre restaurant, Tempero, pour pouvoir choisir mes horaires. Il a tout de suite très bien marché, à mon grand étonnement. Aujourd’hui encore, j’ai du mal à y croire.

« Devenir cuisinière a été une seconde naissance », écrivez-vous dans votre livre. Pourquoi ?

J’ai eu une enfance difficile. J’existais pour mon mari, mes enfants, mes amis... Mais, je ne savais pas ce qu’était la reconnaissance professionnelle. Grâce à mon restaurant, je me suis émancipée professionnellement. Les clients appréciaient ma cuisine, j’ai commencé à être citée dans la presse... C’était incroyable pour moi ! Même dans mes plus grands rêves, je n’aurais jamais imaginé avoir un restaurant à Paris.

Vous faites de la cuisine gastronomique et écoresponsable. Comment combinez-vous engagement social, développement durable et viabilité économique ?

Mes restaurants sont des écosystèmes où je me dois de respecter mon environnement. Je travaille avec une équipe que j’adore. J’ai donc à cœur de leur donner de bonnes conditions de travail. Nous ne travaillons pas le week-end, pas tous les soirs de la semaine. Nous ne gaspillons rien. D’ailleurs, nous n’avons pas de poubelle, seulement un compost. Nous nous approvisionnons chez des producteurs locaux. Les clients sont contents. Ils ont accès à des produits bio, locaux, cuisinés par une équipe qui est heureuse d’être là. Les restaurants sont aussi ceux de mes équipes, car plusieurs salariés ont des parts sociales de l’entreprise. Certains me suivent depuis des années. Il était normal de partager, car ils participent à ma croissance économique.

Vos restaurants sont aussi des lieux d’intégration sociale...

C’est très important pour moi de donner leur chance à ceux qui n’en ont pas eue, à ceux qui arrivent de loin, qui sont en difficulté. En ce moment, j’accueille des réfugiés qui viennent de pays en guerre, des mineurs non accompagnés qui ont marché pendant des mois avant d’arriver en France. C’est toujours un plaisir de les former, car ils ont une force, une envie de réussir assez remarquable. Ils ont aussi vécu des traumatismes qui réapparaissent parfois quand ils sont stressés en cuisine. Toute l’équipe veille donc à agir avec une bienveillance encore plus forte pour leur donner toutes les chances de réussir. Il faut ouvrir la porte de l’ascenseur social. Ensuite, c’est à eux d’appuyer sur le bouton et de monter dans les étages.

L'enfance d'Alessandra Montagne Gomes

« Je suis née dans une favela à Rio. Mes parents ne voulaient pas d’enfant. Ma mère m’a donc confié à ses parents qui habitaient dans un tout petit village sans eau, ni électricité. J’ai grandi dans cette ferme. On avait un potager, quelques bêtes. C’est là que j’ai commencé à cuisiner avec ma grand-mère. C’est aussi là-bas que j’ai construit ce "bouclier de protection" autour de moi grâce à l’amour de tout un village, de mes grands-parents et de mes neufs oncles et tantes. Il m’a fallu beaucoup de résilience pour grandir, en acceptant de ne pas avoir beaucoup. Aujourd’hui, je sais que les biens matériels ne sont pas les choses les plus importantes dans la vie, que l’on peut très bien vivre avec très peu. Mon projet ? C’est d’être heureuse et de partager ce bonheur avec mes équipes au quotidien. »

 

LES MOMENTS CLES

  • 8 mars 1977 Naissance à Rio de Janeiro
  • 21 novembre 1999 Arrivée à Paris
  • Juin 2010 Obtention du CAP cuisine
  • 8 mars 2012 Ouverture de son premier restaurant Tempero
  • Juin 2021 Ouverture de Nosso, son deuxième restaurant
  • 8 mars 2023 Publication de De Rio à Paris. Ma cuisine de coeur. Éd. Flammarion.