Protection de l'enfance

Le parcours d'un battant : Mamadou, ancien mineur non accompagné

En 2019, Apprentis d’Auteuil a accueilli 2 000 mineurs non accompagnés. Parmi eux, Mamadou, parti du Mali à 16 ans, aujourd’hui diplômé et détenteur d’un CDD à Paris. Retour sur le périple de ce voyageur sans bagages.

Pour quelle raison en vient-on à quitter sa terre d’origine et ceux que l’on aime pour tenter sa chance,  bien incertaine, au-delà de l’horizon ? Une question qui résonne de façon particulière face aux milliers d’enfants et d’adolescents qui partent chaque année d’Afrique, d’Asie ou d’ailleurs, dans l’espoir d’un avenir meilleur aux couleurs de l’Occident. De réponses, il y en a presque autant que de mineurs non accompagnés, ces MNA que l’État français s’est donné pour devoir de prendre en charge sur son territoire jusqu’à leur majorité, au titre de la protection de l’enfance et de la ratification de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Des accents de pauvreté

La réponse de Mamadou Sissoko, jeune Malien arrivé en France il y a bientôt 5 ans, a des accents de pauvreté. « Je suis issu d’une famille d’éleveurs de Mountan Soninké, un village de la région de Kayes, en plein Sahel, au Mali, raconte Mamadou. Là-bas, avec mes parents, mes quatre frères et sœurs, nous vivions difficilement. » Et quand on lui demande quel a été le déclic, le décidant à tout quitter pour risquer le voyage vers l’Hexagone, le jeune homme répond : « Je connaissais le France via la télévision et puis des amis installés là-bas revenaient régulièrement au village, le temps des vacances. J’ai eu envie de faire comme eux, d’avoir un métier et de meilleures conditions de vie.

Balloté sur les routes du monde

Son père ne veut pas le laisser partir, mais Mamadou s’obstine, téléphone à un cousin et obtient de lui de l’aide pour engager un voyage périlleux de plusieurs mois. Il embarque alors avec d’autres aventuriers de l’espoir, à cinq à l’arrière d’un pick-up poussiéreux, direction l’Algérie. À la frontière, il travaille durant trois mois comme manœuvre sur des chantiers de construction. Mal payé, Mamadou réussit néanmoins à mettre assez d’argent de côté pour reprendre la route, vers la Libye cette fois. Un pays où la guerre civile fait rage. « C’était dur » confie simplement Mamadou, sans épiloguer.
 

Arrivée gare de Lyon

À court d’argent, c’est son cousin qui lui sauve la mise en lui adressant, au bout de trois semaines, les 400 euros que réclame le passeur pour conduire Mamadou de l’autre côté de la Méditerranée, en Italie. Débarqué en Europe, le jeune Malien est envoyé par les autorités locales, avec d’autres mineurs étrangers, dans un « campo », un camp pour réfugiés où Mamadou reste près de quatre mois. Quatre mois à économiser sou après sou. « On nous donnait 30 euros par semaine, explique Mamadou. J’ai attendu d’avoir assez d’argent pour acheter un billet de train, éviter les contrôles et franchir la frontière. » Arrivée : gare de Lyon.
 

Nouveau départ

Mamadou Sissoko passe régulièrement donner des nouvelles à La Touline Paris, qui l'a aidé à s'insérer (c) (c) Agnès Thai / Apprentis d'Auteuil
Mamadou Sissoko passe régulièrement donner des nouvelles à La Touline Paris, qui l'a aidé à s'insérer (c) (c) Agnès Thai / Apprentis d'Auteuil

À Paris, la solidarité familiale permet à l’adolescent d’être hébergé trois semaines chez une cousine, avant d’être mis dehors par le mari de celle-ci. Sans ressources ni logement, Mamadou pousse alors la porte d’un bureau de l’Aide sociale à l’enfance, qui lui propose dans l’immédiat une chambre à l’hôtel – une solution provisoire, qui durera malgré tout huit mois – puis l’oriente vers Apprentis d’Auteuil et son service Oscar Romero. Une plateforme qui accompagne une trentaine de jeunes MNA vers l’autonomie et une insertion socioprofessionnelle durable.
« Pour moi, c’est là que tout a vraiment démarré », souligne celui qui va alors sur ses 17 ans ; nous sommes en 2016. « On m’a trouvé une chambre dans un foyer, donné des cours de français, j’ai pu passer le permis de conduire et même apprendre à faire à manger ! » raconte, dans un sourire, Mamadou. Deux années qui lui auront surtout permis de passer un CAP peintre, avant d’enchaîner avec un CAP maintenance de bâtiments de collectivités.

France, terre de liberté

À sa majorité, c’est la Touline qui prend le relais, autre service d’Apprentis d’Auteuil, dont la vocation est d’aider les jeunes sortants de la Protection de l’enfance à prendre leur envol. « Grâce à eux, après plusieurs années en foyer, j’ai aujourd’hui mon propre logement et un CDD dans un lycée parisien, souligne Mamadou, aussi fier que reconnaissant. Et puis, ils m’ont aidé lorsqu’il a fallu changer ma carte de séjour, en passant du statut d’étudiant à celui de salarié. » À l’entendre, ce sont les démarches administratives qui sont les plus compliquées. Mais Mamadou savait dès le départ que ce ne serait pas facile et ne se plaint pas. Tout en attendant avec un peu d’anxiété une réponse à sa demande d’obtention de la nationalité française.
Ses autres rêves ? Devenir grutier et, bien sûr, fonder une famille. La sienne, au Mali, lui manque beaucoup après bientôt cinq années d’absence. Aussi s’est-il mis en tête d’apporter son aide à  d’autres jeunes MNA de la Touline venus d’Afrique qui, comme lui, ont tout quitté. Il essaie de les orienter au mieux et de leur donner les bons conseils pour s’en sortir, tant il sait combien c’est difficile de se retrouver seul, loin de chez soi, dans un pays que l’on ne connaît pas.
Cependant, Mamadou ne regrette rien : « Si ça n’a pas été facile pour en arriver là, je me sens tellement bien, ici, maintenant ! » Et de conclure sa déclaration d’amour : « J’ai traversé beaucoup de pays ; aucun ne vaut la France, terre de liberté. »