Société
20 janvier 2021

Les compétences psychosociales, un enjeu éducatif majeur

GRAND ANGLE. Encore insuffisamment enseignées, les compétences psychosociales favorisent une meilleure résilience face à des situations difficiles et permettent aux enfants de grandir en confiance, dès l'école primaire. Un vrai bouleversement ! Par Agnès Perrot.

Savoir s’exprimer, coopérer, apprendre à réguler sa colère, prendre des décisions... Depuis quelque temps, en France, les compétences psychosociales - c'est à dire les capacités d'une personne à maintenir un état de bien-être psychique et à le démontrer par un comportement adapté et positif lors d'interactions avec les autres, sa culture et son environnement (1) - se font une place dans la liste des compétences que les élèves doivent avoir acquis, à côté de savoirs plus traditionnels, comme lire, écrire ou compter.

Inscrites dans les programmes scolaires depuis 2013, leur place a été réaffirmée en 2015 dans le cadre du socle commun des connaissances.

Des ressources intérieures qui s'apprennent

Dites également compétences socioémotionnelles, ces ressources intérieures aident à mieux vivre avec soi-même et avec les autres. Elles rendent plus conscient, créatif et responsable de sa vie. On en a besoin pour s’adapter, faire face aux imprévus, gérer ses émotions, mieux interagir avec les autres, communiquer, mais aussi gagner en confiance en soi. 

De nombreuses études scientifiques l’ont montré, notamment la méta-analyse de Joseph Durlak, un apprentissage de ces stratégies à l’école influence en profondeur le climat scolaire et les performances des élèves en classe et dans le reste de leur vie.

Cet enseignement est également intéressant car il est au service du bien-être de l'enfant dans toutes ses dimensions et le considère - quel qu'il soit - comme une personne à part entière.

À l'adolescence, il permet de réduire les conduites à risque ainsi que les troubles de santé mentale. Des bénéfices valables également pour les adultes (qui accompagnent les jeunes), notamment les enseignants. Mais aussi les éducateurs et les parents pour lesquels le développement des CPS peut agir sur la qualité de leurs relations avec leurs enfants.

Bref, si on ne naît pas tous créatifs, empathiques ou flexibles, on peut le devenir... en se formant ! Les CPS peuvent s'apprendre à tout âge, même si le plus tôt est le mieux.

Une école de la vie

Une assertion partagée - et transmise - par Laure Reynaud, enseignante depuis 17 ans, elle-même transformée par la découverte - et la mise en pratique concrète - de ces habiletés. Un changement de paradigme opéré alors qu’elle prépare un diplôme en psychologie positive en Angleterre (IMAPP, Anglia Ruskin University).

Forte de cette révélation, la professionnelle décide de quitter l’Éducation nationale et monte ScholaVie en 2014, un organisme qui propose des formations dans le domaine des compétences psychosociales, afin d’œuvrer au bien-être des jeunes et de ceux qui les accompagnent. "ScholaVie propose aux professionnels de l’éducation et de la santé des accompagnements, ressources et outils pour qu’ils développent leurs propres CPS, intègrent cette dimension dans leurs pratiques et postures, afin d’être plus en mesure de développer les CPS des jeunes qu’ils accompagnent" explique-t-elle.

Avec ses collègues, Laure Reynaud intervient dans de nombreux établissements scolaires et son association est  présente dans de plus en plus d'académies en France. "Si la famille reste le premier lieu d’apprentissage des compétences psychosociales, l’école doit participer aussi à leur développement, lance-t-elle avec conviction. Ces ressources font partie des apprentissages indispensables, à acquérir, tant à l’école qu’à la maison ou au travail.Tout le monde est concerné."

Des enfants plus confiants, plus motivés et plus heureux

Les compétences psychosociales, des apprentissages indispensables à l'école ! (c) iStockPhoto

La plupart des enseignants initiés aux CPS insistent sur la découverte du "savoir-être en relation", qualité de présence qui permet d’embarquer les élèves. Ainsi en va-t-il de Sébastien Alain, formé durant quatre ans au Cartable des compétences psychosociales de l’IREPS ( Instance régionale d’éducation et de promotion de la santé) des Pays de la Loire. Et qui initie désormais ses élèves à ses découvertes, d'abord apprises pour lui-même.

L’instituteur - également formateur - raconte : " Depuis que j'ai intégré l'acquisition des CPS dans le programme des enfants qui me sont confiés en classe, j’ai vu un réel changement chez eux. Non seulement au niveau de  leur disponibilité mentale et émotionnelle, mais aussi dans leur intuition et leur créativité. Même s'il est à construire jour après jour, cet apprentissage fait la différence. Une qualité d'être se construit, juste à cause de notre (nouvelle) posture d'adultes formés. "

Il poursuit : "Sécurisés et mis en confiance, les enfants prennent plus facilement des initiatives, trouvent eux-mêmes des solutions, se livrent plus volontiers à l’adulte. Ils deviennent aussi acteurs de leurs apprentissages, développent leur esprit critique, etc. Une vraie bascule s'opère !"

Des résultats scientifiquement prouvés

Écho semblable chez Marie-Clarté Mougeot, professeure dans un collège privé bilingue à Paris, qui a mis en place des ateliers pour ses élèves de 6e et 5e durant les heures de vie de classe. Certains sont consacrés au bien-être (sommeil, alimentation émotions, gratitude, confiance en soi), d’autres à la résilience (se poser avant de réagir à une brimade, écouter les différentes voix en soi, etc.).

"Je sens les jeunes plus détendus et heureux quand on les prend en compte dans toutes leurs dimensions, et pas seulement en tant qu’élèves", s’enthousiasme-t-elle.

" L’essor récent - mais encore pas assez visible - de l'enseignement des compétences psychosociales à l'école est une chance immense", conclut Catherine Gueguen, pédiatre formée aux neurosciences, spécialisée dans le soutien à la parentalité, même s'il faut absolument que davantage de professionnels se forment pour apprendre à mieux gérer leurs émotions, s'entendre avec les autres, comprendre leurs besoins et leurs attentes ! Oui, je ne cesse de le répéter, loin d’un effet de mode, l’éducation émotionnelle bouleverse la vie à l’école.  Une vraie prise de conscience est en marche. " (2)

(1) définition de l'OMS (Organisation mondiale de la santé)

(2) dans Heureux d’apprendre à l’école, coéd. Les Arènes - Robert Laffont

 

À LIRE :

  • "Développer les compétences psychosociales" 
    Laure Reynaud, éd. Retz
  • Peps ! parcours d’éducation positive et scientifique : 10 étapes clés pour une éducation heureuse et épanouie 
    Ilona Boniwell et Laure Reynaud, éd. Leduc 
  • "Ces liens qui nous font vivre"
    "Rebecca Shankland, avec Christophe André, éd. Odile Jacob
  • "Pour une enfance heureuse"
    "Vivre heureux avec son enfant"
    "Heureux d'apprendre à l'école"

    Catherine Gueguen, éd. Les Arènes/Robert Laffont
  • "L’éducation émotionnelle de la maternelle au lycée"
    Michel Claeys, éd. Souffle d’Or

3 QUESTIONS À :
Rebecca Shankland, professeure des universités en psychologie du développement à l'Université Lumière Lyon 2

Qu’entend-on par compétences psychosociales (CPS) ?

Il s’agit de compétences sociales (écoute, empathie, coopération), émotionnelles (identification, compréhension, régulation des émotions) et cognitives (pensée critique, pensée créative, résolution de problèmes) répertoriées par l’Organisation mondiale de la santé(OMS) comme étant particulièrement utiles pour nous aider à nous ajuster au mieux au quotidien.

Elles agissent comme facteurs protecteurs par rapport à de nombreux troubles ou addictions et favorisent une meilleure résilience face à des situations difficiles.

Elles permettent aussi de prendre du recul par rapport à des informations reçues, en réalisant des choix éclairés. Elles aident enfin à développer des stratégies de résolution de problèmes et à créer des liens de confiance et de solidarité.

Pourquoi les mettre en place dès l'école ? 

Ces compétences peuvent être développées tout au long de la vie. Et apprises à l'école, mais aussi à la maison... C’est la raison pour laquelle l’enjeu de formation des professionnels, la diffusion des outils, et la réalisation d’ateliers avec les enfants, sont fondamentaux. Dans la période actuelle, l'enjeu est important pour tous en raison des niveaux élevés de stress éprouvés par les adultes et les enfants.

Le recours à ces compétences représente un moyen de diminuer les risques induits par la situation que nous vivons, en termes de santé mentale. Dans une étude menée auprès des parents pendant le premier confinement, nous avons mis en évidence que la compétence la plus importante pour prévenir l’épuisement parental était la régulation des émotions

Quelques mots sur votre nouveau DU "Développement des compétences psychosociales" ? 

La création du DU (Diplôme universitaire) "Développement des compétences psychosociales" que j'ai récemment monté au département Carrières Sociales de l’IUT-2 à l’Université Grenoble Alpes, est née d’une forte demande des professionnels de l’Education nationale et de l’Education spécialisée. Tous souhaitaient être formés à des approches scientifiquement validées, permettant de développer les compétences psychosociales des personnes accompagnées et des familles.

Ce DU comprend deux parcours : un parcours prévention/promotion de la santé et un parcours pour l’accompagnement des personnes concernée par un trouble du spectre de l’autisme.  Avec la première promotion de ce DU, et en lien avec différents partenaires et associations, nous avons rassemblé de nombreux outils en libre accès sur le site http://covidailes.fr, à destination des enseignants, mais aussi des parents et des enfants. 

À APPRENTIS D’AUTEUIL

Former les élèves aux compétences émotionnelles fait partie des engagements des équipes enseignantes et éducatives.

Apprentis d’Auteuil a ainsi élaboré la démarche du Développement humain et spirituel (DHS), qui vise à développer toutes ces compétences chez les jeunes accompagnés. Un programme global qui intègre toutes les dimensions de la personne et vise à faire grandir en humanité. 

La fondation s’inspire également de programmes existants. Comme, notamment, le Cartable des compétences psychosociales de l’IREPS des Pays de la Loire, mis en place à l’ensemble scolaire Notre-Dame du Bon Accueil (44), ou la discipline positive, enseignée aux établissements Sainte-Bernadette (64).