Accompagnement des parents

Marc Vaubon, éducateur en Maison des familles

ENTRETIEN. À la Maison des familles de Grenoble, Marc Vaubon, éducateur, accompagne des parents tout au long de l'année. Leur reconnaissance et leurs transformations à l'oeuvre sont ses plus belles récompenses. Propos recueillis par Agnès Perrot.

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Éducateur en Maison des Familles d'Apprentis d'Auteuil, Marc Vaubon raconte son quotidien auprès de familles, le plus souvent en situation d'isolement ou de vulnérabilité. Un métier qui l'aide à devenir, chaque jour, de plus en plus humain.

En quoi consiste le métier d'éducateur en Maison des familles ?

« Ici, à la Maison des familles de Grenoble, nous sommes deux salariés, Elisabeth Michel la directrice, et moi-même, en cours de validation de mon diplôme d'éducateur spécialisé. Nous travaillons avec une dizaine de bénévoles du Secours catholique, notre partenaire. Des stagiaires d'écoles du secteur social passent aussi très régulièrement et nous avons actuellement une jeune en service civique.

Je coordonne les différentes activités que nous avons mises en place, comme des temps collectifs le mercredi après-midi, des ateliers cuisine, des groupes de parole, des temps de conversation en français, etc. Ma mission consiste aussi à organiser le travail des bénévoles et à faire le lien avec nos  partenaires. Nous nous retrouvons une fois par mois pour un point  et nous avons des temps réguliers de relecture de pratique avec un thérapeute. Dans ce métier, le travail d’équipe est très important. On n’est jamais seul. Chacun apporte quelque chose au groupe.

Une Maison des Familles, c'est quoi ?

La Maison des Familles de Grenoble est le premier lieu d’écoute et d’accompagnement de parents mis en place par Apprentis d'Auteuil, en 2009. Il existe aujourd'hui une petite dizaine de lieux de ce type sur le territoire et une trentaine sont prévues d'ici deux à cinq ans.

Apprentis d’Auteuil a crée ce réseau dans le cadre de sa stratégie de développement, en partenariat avec des acteurs de terrain déjà impliqués au cœur des quartiers prioritaires. L’objectif est d’accompagner les familles les plus vulnérables dans leur rôle éducatif.

Existe t-il un profil type de familles accueillies ?

Nous accueillons principalement trois types de familles : des familles en situation d’extrême précarité sans droits administratifs ni revenus ou hébergement, voire le tout ensemble. Des familles en cours de demande de droits, mais qui bénéficient d’un minimum d’aide. Enfin, des familles avec des droits et du travail mais pas assez de revenus.

Qu'est-ce qui les réunit ?

Leur isolement. Notre enjeu essentiel consiste à les accueillir, les sécuriser et leur redonner confiance pour se diriger, selon leurs besoins, vers d'autres dispositifs de droit commun. La ville de Grenoble est un important carrefour migratoire, avec 30 % d'enfants sous le seuil de pauvreté recensés dans les crèches de la ville, selon une récente étude de l'INSEE.

Quand avez-vous rejoint la fondation ?

Cela s’est fait en deux temps. J’ai d’abord rejoint la fondation en septembre 2005, pour une année de préformation aux métiers du secteur social aux établissements Jean-Marie Vianney, dans l'Isère.

Après un bac pro et une expérience de deux ans dans les industries graphiques, je voulais changer d'univers. Les métiers du secteur social m'attiraient.

Cette année de prépa m'a permis à la fois de préparer les concours d’entrée en écoles du secteur social et d'évaluer ma capacité à travailler avec des populations en difficulté.

J'ai alors intégré l’Institut Saint-Laurent d’Ecully, où j’ai obtenu mon diplôme d'Etat de moniteur-éducateur, avant de partir un an comme volontaire au Pérou.

Et ensuite ?

À mon retour à l’été 2008, j’ai été embauché comme éducateur chez SOS Villages d’Enfants. J’exerçais dans une petite maison d’enfants sur un plateau du Vercors assez isolé. J’ai quitté mon poste au bout de deux ans, estimant en avoir fait le tour.

C’est à ce moment-là que j’ai croisé, par le plus grand des hasards, Elisabeth Michel, directrice de la Maison des familles de Grenoble. Elle cherchait un éducateur à mi-temps pour la  structure qui venait d’ouvrir en partenariat avec le Secours catholique.

Qu'est-ce que travailler au sein d'une telle  structure implique ? 

Notre posture de travail avec les familles s'inspire des travaux de Guy Ausloos, psychiatre d'origine belge installé au Canada, et de Guy Hardy, son homologue en France, sur le pouvoir d'agir et les compétences des familles.

Pour Guy Ausloos, tout travailleur social devrait rencontrer les familles avec lesquelles il est amené à exercer avec une certaine humilité, et en leur faisant comprendre qu'il a besoin d'elles pour accomplir son travail. Les familles ont essayé de nombreuses solutions, elles ont connu des échecs mais aussi des réussites. Avec leur collaboration, il y a plus de chances de faire du bon travail.

Les familles que nous accueillons sont aptes à résoudre les problèmes auxquels elles sont confrontées, elles ont des compétences, même si parfois, elles sont empêchées de les utiliser, et elles peuvent découvrir par elles-mêmes des solutions auxquelles personne n’aurait pensé. 

Qu'est ce qui vous motive dans votre métier ?

La reconnaissance de l’autre, cette proximité qui se noue, ce retour énorme sur l’investissement que nous posons en tant que professionnels, avec bien entendu la distance nécessaire. C’est un vrai cadeau que ces familles nous font, même si tout n'est pas tous les jours facile.

Ici, l'accueil est libre, sans inscription préalable et les parents viennent nous trouver de leur plein gré, à condition de respecter deux règles de base : tout le monde doit prendre soin de tout le monde et n'importe quel adulte peut intervenir !

Je dis souvent que ce ne sont pas des personnes en difficulté que nous accompagnons, mais que c’est leur vie qui est difficile. Cela change drôlement la donne... Parfois, on a trop tendance à être dans le jugement sans permettre à l’autre de nous rencontrer. On parle aussi beaucoup partout de notion de fraternité. Mais comment accueillons-nous l’autre en vérité ?

C'est-à-dire ? 

Le travail que nous menons ensemble ici est essentiel et trop rare. J’aimerais qu’on puisse élargir cette manière de faire, dans le respect des uns et des autres et dans la confiance, à d’autres structures de travail social.C’est une des leçons essentielles de ce que je vis ici : comment continuer à me laisser toucher par l’autre, lui laisser m’apporter quelque chose. On n’apprend malheureusement pas ce genre de posture en école d’éducateur...

Je vis beaucoup de beaux moments, même petits ou infimes. Aujourd'hui par exemple, nous allons enregistrer une émission pour la radio chrétienne RCF baptisée "Vous avez dit fragile ?"  C'est un programme présenté par la journaliste Anne Kerléo sur le thème "Parents de double culture, comment transmettre ?" Des pères et des mères vont prendre le micro pour expliquer ce qu’ils vivent ici, leur fragilité, leur courage et la force des liens qu'ils nouent en discutant ensemble...

Qu'est ce qui peut être plus difficile ?

L'impuissance face à certaines situations de vie. C'est parfois très éprouvant d'écouter la colère de certains parents et de les voir repartir sans rien pouvoir faire pour eux. Il faut apprendre à lâcher prise, ce qui requiert du temps et de l'expérience. J'y travaille chaque jour...

Un moment marquant vécu avec un parent ?

Je pense spontanément au premier accueil confié à mon arrivée ! Celui d'une mère sans droits et aucune source de revenus. Un de nos partenaires lui avait donné notre adresse. A son arrivée, le matin venu, je lui ai fait mon petit discours d’usage de professionnel soi-disant "averti", consciencieusement préparé la veille.

Au bout d’une demi-heure, cette maman me coupe poliment la parole pour m’expliquer qu’elle est désolée mais qu’elle va devoir me laisser car elle n’a rien à manger pour le repas de midi et qu’il lui faut aller chercher un paquet alimentaire pour nourrir sa famille. Je suis sorti de cet entretien bouleversé. »