Education et scolarité

Maguelone de Poncins, professeure : « Il faut aimer pour enseigner »

En vacances, après une année scolaire particulière, Maguelone de Poncins, professeure de mathématiques au collège Saint-Philippe à Meudon (92) et responsable de SOS Accueil, un accueil de jour pour les exclus à Versailles, revient sur ce double engagement auprès des jeunes et des adultes en difficulté.

« Si je devais résumer cette année scolaire ? Je citerais volontiers saint Augustin : "Les temps sont mauvais ? Soyons bons et les temps seront bons, car nous sommes le temps », s’enthousiasme Maguelone de Poncins, professeure de mathématiques en 4ème et 3ème PASS (découverte des métiers) à Saint-Philippe à Meudon (92).
Personne ne s’attendait à cette pandémie, une épreuve ! Du jour au lendemain, nous avons dû tout réinventer. J’ai demandé à ma direction l’autorisation d’obtenir les numéros de téléphone portable de mes élèves. En prenant soin de prévenir les parents, en leur assurant que je resterai en permanence à leur disposition et en leur présentant ma méthode de travail. En une semaine, j’ai eu tous les numéros, évalué les difficultés de matériel ou de connexion de chacun et établi le programme : trois heures de maths par semaine, pour chaque classe, et un rendu le jour même des devoirs… quitte à donner, par téléphone, quelques cours particuliers.

La bergère qui rassemble son troupeau

J’ai eu l’impression d’être la bergère qui rassemble et garde son troupeau ! Avec fermeté, bienveillance, humour... et félicitations aux élèves et aux parents. Équipe de direction, professeurs, auxiliaires de vie scolaire, jeunes, familles, nous avons pris les choses en main. Nous avons eu confiance en nous, nous n’avons cédé ni au doute ni à la panique. Les jeunes ont fait preuve d’une très grande capacité d’adaptation. Ils ont révélé des ressources insoupçonnées. Jamais ils ne se sont plaints. Volontiers, ils se sont laissés porter et guider. Un élève d’ordinaire au fond de la classe s’est ainsi montré très volontaire en m’appelant jusqu’à quatre fois par jour !
Les parents - même s’ils étaient peu nombreux au début - se sont toujours impliqués. L’effet boule de neige a fonctionné. Une maman très douée en mathématiques qui devait faire preuve d’un courage exceptionnel avec son fils, n’a jamais renoncé à le faire bien travailler.

Apprentis d'Auteuil, c'est pour moi !

Thibault et Léa, deux élèves de Saint-Philippe, très heureux de retrouver, en présentiel, leur professeur © Besnard/Apprentis d'Auteuil

Cette pandémie nous a prouvé que nous pouvions faire front, tous ensemble. Mais si j’ai choisi le métier d’enseignant, c’est pour être sur le terrain, avec les élèves, en présence, à l’écoute. Pourquoi à Apprentis d’Auteuil ? Á chaque fois que je passais devant le 40 rue La Fontaine à Paris (siège de la fondation), je me disais : « C’est pour moi ! » J’avais débuté ma carrière dans un milieu rural, élevé mes quatre enfants, avant de devenir responsable de 5 éducateurs et de 40 bénévoles à SOS Accueil à Versailles. Un accueil de jour pour les sans-abris, les gens en grande précarité, les sortants de prison, tous les exclus.
En discutant avec eux de leur vie, de leurs difficultés, de leurs addictions, je suis très souvent remontée aux mêmes sources : la famille et l’école. Je ne comprenais pas pourquoi en France, au XXIe siècle, des jeunes pouvaient abandonner leur scolarité avant la troisième. J’étais convaincue qu’il fallait bosser en amont avec les familles et à l’école. Je voulais éviter aux enfants d’Apprentis d’Auteuil de se retrouver à SOS Accueil.
Une amie qui travaillait à la Maison d’enfants (MECS) Sainte-Thérèse à Paris, sa responsable puis l’équipe de direction de Saint-Philippe m’ont ouvert les portes de la fondation, en septembre 2018, comme professeure à mi-temps au collège Saint-Philippe.

Aimer pour enseigner

Parfois, je me dis qu’il faudrait installer des caméras cachées, tellement ce que nous vivons au quotidien, avec les jeunes, peut être dur. Un jour, j’ai écrit au tableau ce que j’entendais de leur bouche sur leurs mères, leurs sœurs. L’effet a été immédiat ! "Mdame, Mdame, faut pas écrire çà ! S’il vous plait effacer, c’est pas possible !" "Ok, je prends mon temps pour tout effacer. Mais, si j’efface, je ne veux plus jamais l’entendre ! Vous faites honte à vos mères. Vous faites honte à vos sœurs… et vous m’écorcher les oreilles !" Chaque parole est précieuse. Chaque parole est sacrée : elle peut détruire de fond en comble ou propulser sur la planète Mars. Ne soyons pas amnésiques !
Mon sujet de prédilection ? Faut-il aimer pour enseigner ? Pour moi, la réponse tombe sous le sens : oui, cent fois oui ! Car, comme me l’a rappelé un père de l’abbaye de Solesmes : "Aimer, c’est vouloir le bien de l’autre". Si je ne veux pas le bien de mon élève, je n’ai rien à faire en classe !
Mon adage pour la rentrée prochaine ? "Chaque jour, recommencer. Avec nos jeunes, rien n’est jamais acquis. On croit avoir gagné des points et tout est à rejouer le lendemain. Chaque jour, aimer."