
Décrochage scolaire : mieux accompagner chaque jeune
Chaque année, des milliers de jeunes perdent pied à l'école, au collège... Apprentis d’Auteuil, qui accompagne depuis ses origines des jeunes en difficulté ou en rupture scolaire dans ses établissements, déploie aussi des dispositifs dédiés. Zoom sur quelques-uns de ces dispositifs.

Nilay jubile. La jeune fille de 16 ans a déposé son CV et une lettre de motivation dans une quarantaine de pâtisseries et vient de recevoir une réponse positive pour un rendez-vous. « Demain, à 10 heures, à Villeurbanne ! » Un stage se dessine, lui ouvrant des perspectives. Marie Duhot, en charge de l’insertion au Fil d’Ariane, un dispositif d’Apprentis d’Auteuil dédié aux décrocheurs à Lyon et ses environs, l’aide à préparer son entretien.
« J’ai de la difficulté à aller en cours depuis le collège, explique la jeune fille. L’année dernière, entre les problèmes familiaux et l’école, ma phobie scolaire a explosé. Ici, on m’a accueillie avec le sourire. J’ai été écoutée. J’aime pourtant les études, mais je préfère le pratique. J’ai beaucoup de centres d’intérêt, dont la pâtisserie, la couture, la musique, et je trouve que l’école n’est pas très intéressante. On n’y apprend pas pour soi ! »
Trouver sa voie pour raccrocher

Le lendemain, face à l’ordinateur, Mohamed, 16 ans, planche sur son rapport de stage, fait chez un garagiste. Difficile de se souvenir de toutes les tâches effectuées, d’employer les bons termes... « J’ai réparé une roue. J’ai aussi vérifié l’état des plaquettes de frein et je les ai nettoyées. » Mohamed est accompagné par le Fil d’Ariane, cette fois dans le cadre d’un partenariat Éducation nationale/Protection judiciaire de la jeunesse (1). Après des années chaotiques, traversées par des difficultés familiales, le garçon veut se ressaisir et rosit de fierté devant les appréciations élogieuses du garagiste. « J’ai été viré de mon collège. Aucun autre ne voulait me prendre. Je n’allais pas en cours, je me bagarrais tout le temps, se souvient l’adolescent. Mais tout ça, c’est du passé. Je ne veux plus faire de bêtises. Mon objectif, c’est le CAP garagiste. J’aime avoir les mains dans le moteur depuis tout petit. »
Derrière ces succès, le travail de toute une équipe aux compétences complémentaires pour aider chaque jeune à mieux se connaître, à nommer et gérer des émotions qui le submergent, lui insuffler l’énergie pour qu’il se remette en route. Les mini-stages d’une journée jouent un rôle majeur dans le raccrochage, les jeunes testant leurs envies et compétences sur un temps court, jusqu’à trouver le domaine dans lequel ils se sentent bien.
Un phénomène multifactoriel

Dans le Nord, à quelques kilomètres de Lille, à Fournes-en-Weppes (59), le dispositif 4R accueille au sein du collège Saint-Jacques des décrocheurs venus des établissements de la région. Certains ont connu de multiples exclusions, ont subi une orientation dans un domaine qui ne les intéressait pas.
Lancé il y a dix mois, le dispositif accueille des jeunes « qui ne tenaient pas en classe, comme le précise le directeur du collège, Xavier Paysserand. Ici nous devons oser faire des choses différentes, sortir du cadre scolaire. »
Les savoirs de base – français, maths, enseignement moral et civique - sont travaillés via des activités plutôt que des enseignements par discipline, et en fonction des besoins de chacun. Des stages – 12 semaines au total – complètent le dispositif et permettent de valider le projet du jeune.
Mathis, 13 ans, souffle et se projette dans l’avenir : « Ici, les profs ont plus de temps pour nous expliquer quand on ne comprend pas. L’année prochaine, je voudrais retourner dans mon ancien collège ou aller en 3e prépa dans la vente. »
• Apprentis d’Auteuil accueille près de 14 000 jeunes dans 127 établissements scolaires. (chiffres clés Apprentis d’Auteuil 2021)
• Les écoles, collèges et lycées de la fondation font de l’accueil des jeunes en risque de décrochage ou en rupture scolaire une de leurs spécificités. C'est le cas en particulier des collèges des réussites, tels Marcel-Callo, Saint-Louis, à Cesson-Sévigné près de Rennes, du collège Nouvelle Chance au Mans. • Apprentis d'Auteuil propose également des dispositifs dédiés : Le Fil d’Ariane à Lyon, 4R, au sein du collège Saint-Jacques à Fournes-en-Weppes, l’atelier relais Osée à Toulouse, les Accueils éducatifs de jour, etc.
Restaurer l’estime de soi

Le décrochage scolaire, qui touche environ 95 000 jeunes par an en France (2), a de multiples effets sur les jeunes et leur entourage. En premier lieu, la perte de confiance en eux. La restauration de l’estime de soi est un des premiers leviers à actionner. C’est ce que constate aussi l’Accueil éducatif de jour (AEJ) d’Orsay, près de Paris. Cette structure récemment ouverte accompagne des jeunes âgés de 13 à 21 ans, déscolarisés, tous suivis par l’Aide sociale à l’enfance.
« Le mot le plus juste pour définir l’AEJ, ce serait "réconciliation", analyse Jean-Patrick Lecerf, éducateur spécialisé. Notre but est que chaque jeune puisse raccrocher quelque part, trouver un projet et se réconcilier avec des difficultés qu’il a eues. »
L’AEJ propose un accueil très souple à des jeunes en grand risque d’exclusion sociale, en moyenne, deux jours par semaine. Le reste du temps est consacré à la mission locale, au centre de formation d’apprentis, au collège ou au lycée. L’objectif premier est de créer du lien avec des adolescents à fleur de peau. Après un accueil chaleureux, place aux ateliers citoyenneté, insertion, scolarité, sport et bien-être, ou créativité. Ce matin, la responsable de l’insertion, Sandie Matagon, propose un jeu du pendu, grand classique, pour introduire le thème du jour. Le mot à trouver est « planification ».
« Les jeunes que nous accueillons sont déscolarisés depuis longtemps et ont du mal à reprendre un rythme. La ponctualité, le respect de son planning, c’est un premier pas. Nous avons aussi des jeunes absorbés par les écrans, qui peinent à revenir dans la réalité. »
Se connaître pour pouvoir avancer

Les ateliers sont avant tout un outil d’expression et de connaissance de soi. Et pour l’équipe, le moyen de cerner les jeunes pour mieux les aider. « L’idée est qu’ils puissent s’exprimer, savoir qui ils sont, explique Cynthia Boulogne, la responsable. À partir de là, nous essayons de voir ce qui les intéresse le plus. Nous observons leur comportement face aux activités, au groupe, à certaines personnalités dans le groupe, face à l’adulte, face au cadre. Nous pouvons ainsi formuler une préconisation pour la suite de l’accueil chez nous. »
La famille est un maillon essentiel dans la réussite du projet. L’AEJ cherche à nouer des liens avec les parents, souvent usés par les difficultés scolaires de leur enfant. « Les parents n’en peuvent plus. L’école peut devenir le « mauvais objet ».
C’est pourquoi nous cherchons toujours à revaloriser le potentiel de leur enfant. » Nour, 17 ans, conclut : « Moi, ce que je veux, c’est avoir une vie à peu près correcte. Trouver un apprentissage, un logement. Basique, quoi. Ici les gens sont gentils, bienveillants. Ils cherchent à te comprendre le mieux possible pour trouver quelque chose qui t’intéresse. »
(1) Dispositif validé par l’académie de Lyon et par le ministère de l’Éducation nationale, en partenariat avec la protection judiciaire de la jeunesse, afin d’insérer des jeunes en conflit avec la loi, décrocheurs poly-exclus, âgés de 13 à 16 ans environ.
(2) Source : DEPP 2020
Laetitia Sauvage, consultante et formatrice en éducation psychosociale et innovation pédagogique
« Pour permettre à un adolescent d’avoir envie d’apprendre, il faut avant tout croire en lui, malgré son opposition, et le stimuler dans sa confiance en lui, pour qu’il redevienne acteur de son parcours. Tout le monde le sait – et refuse souvent de l’entendre - la scolarité n’est pas le problème pour le décrocheur... Décrocher, pour un jeune est une réaction parfois très saine face à une institution qui ne sait pas toujours écouter ou accompagner, notamment à des périodes charnière de la construction de l’enfant. »
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