Société
01 mars 2017

"Patients", le premier film-réalité de Grand Corps Malade

Avec "Patients", son premier film en salles depuis le 1er mars, Grand Corps Malade s’inspire de son année passée dans un centre de rééducation, en 1997. Un huis clos entre jeunes handicapés empli d’espoir, d’effort, de rage, de sourires, de rires et d'engagement. A l'image d’un homme qui, dans la douleur, a puisé l’inspiration et l’envie de vivre. Plus forte que tout. Interview : Brigitte Baudriller. Photo : Julien Mignot.

Pourquoi avez-vous attendu vingt ans, entre l’accident dans une piscine qui vous rend tétraplégique (1) et la réalisation du film Patients ?

Je ne sais pas vraiment. J’ai toujours pensé que j’écrirai cette histoire-là dans un livre. Il a été publié une quinzaine d’année après mon accident, en 2012 (2). J’ai peut-être attendu quinze ans pour aborder sereinement le thème. Je ne voulais pas d’un livre douleur, thérapie ou exutoire. Je voulais juste livrer un témoignage. Monter un film n’est pas facile, il faut beaucoup plus de temps.

Est-ce le recul qui vous fait écrire : "La réalité décide. Si elle veut elle malmène." ?

C’est une petite formule pour signifier que, parfois, nous pouvons avoir prise sur la réalité parfois un peu moins. La réalité peut toujours nous éclater au visage, avec de belles choses ou des choses graves. J’essaie de la rendre la plus excitante, la plus agréable possible. Je sais qu’un être humain est fragile. En une seconde tout peut basculer.
 

En 1997, au Centre de réadaptation de Courbet en Seine-et-Marne, où puisez-vous votre force mentale lorsque l’on dit à vos parents : "Votre fils ne marchera plus" ?  

Une année de rééducation pour Ben (Pablo Pauly)
Une année de rééducation pour Ben (Pablo Pauly)

D’un point de vue physique et physiologique, j’ai eu la chance de commencer à récupérer assez vite. Avant l’accident, je pratiquais beaucoup de sport à haut niveau. J’étais habitué à l’effort physique et au mental d’acier. Un matin, j’ai réussi à remuer le gros pouce du pied gauche. Peu de gens sur terre ont bougé le bout du pied avec autant de plaisir ! Je me suis accroché à cet espoir. J’ai également eu la chance d’être très bien entouré par la médecin chef, le kiné et l’ergothérapeute.

Tous ces éléments vous ont redonné l’envie de vivre ?

Je ne cherche pas trop à m’auto-analyser. Bien au-delà de la volonté, je parle de l’envie de vivre des handicapés comme du sixième sens. En côtoyant les paraplégiques, tétraplégiques, traumatisés crâniens, amputés, grands brûlés…, j’ai pris conscience de  leur courage. Un courage presque subi, forcé, imposé : ils n’ont pas le choix. Minute par minute, chaque jour, ils doivent vivre malgré tout. Aller vers les autres, retrouver le sourire, avoir des projets. Jamais je n’ai croisé autant de souffrance et d’énergie, autant d’horreur et d’humour. Tout ce qui ne tue pas rend plus fort.

Quitte à changer d’espoir ?

Bien sûr ! Se retrouver handicapé constitue une période de deuil. Certains récupèrent beaucoup, d’autres un peu, d’autres encore pas du tout. Tous les handicapés doivent revoir leurs espoirs à la baisse, trouver un "espoir adapté" à leur projet de vie. À leur manière, à leur rythme. Dans l’expression "espoir adapté", l’essentiel est l’espoir. 

En vingt ans, le regard des gens sur les handicapés a-t-il changé ? 

Le monde des handicapés vit à son rythme, avec ses propres préoccupations
Le monde des handicapés vit à son rythme, avec ses propres préoccupations

La société a-t-elle changé en vingt ans ? Quand les gens te rencontrent pour la première fois, tu n’es rien d’autre qu’un handicapé. Tu n’as pas d’histoire, pas de particularités, ton handicap (surtout en fauteuil roulant) est ta seule identité. Le statut d’handicapé est tellement marquant qu’il masque complètement l’être humain.
En France, nous avons beaucoup de retard par rapport à d’autres pays sur les questions d’accessibilité aux transports en commun, aux lieux de travail et de culture, pour les handicapés en fauteuil roulant. Du coup, il est extrêmement compliqué pour eux d’être dans les lieux de passage du grand public. Ils vivent dans des lieux un peu réservés - maisons d’accueil, centres de rééducation - et côtoient rarement d’autres personnes, d’où cette gêne, ce malaise entre les uns et les autres. Il faudrait changer les choses en profondeur. Dès l’école primaire. En permettant aux enfants de grandir avec un paraplégique, un malvoyant… À cet âge-là, tout semble naturel.

Pourquoi, en 2006, vous êtes-vous orienté vers les paroles et la musique à travers le slam ?

J’ai découvert ce médium pour exprimer mes idées, mes sentiments, mes émotions, presque par hasard. Le slam, c’est une petite histoire de 2-3 minutes. Un texte très personnel, fleur bleue ou engagé en lien avec des faits de société. J’ai fait du slam pendant dix ans. Et je me suis rendu compte que d’autres médias - le livre et le cinéma – m’intéressaient.

Quels étaient vos rêves de 20 ans ? Quels sont vos rêves de 40 ans ?

Je n’ai pas réalisé le film Patients pour m’allonger sur le divan et raconter mes rêves de 20 ans ! J’en parle peu dans le livre, pas du tout dans le film. Je serais bien incapable de les dire.
À 40 ans, je n’ai pas de rêves mais des projets : un nouvel album suivi d’une tournée et un autre film avec Mehdi Idir, le co-réalisateur de Patients. Mehdi et moi avons très envie de nous remettre à l’ouvrage. Car ce film fut un bonheur, artistiquement un superbe défi, humainement, une expérience inoubliable. J’ai découvert à quel point le cinéma était un sport collectif. J’ai très envie d’y retourner !

Quoiqu’il advienne vous garderez la même philosophie de vie: "Je me couche avec le sourire et je dors sur mes deux oreilles" ?

J’essaie le plus possible. Je ne me couche pas tous les soirs fou de joie ! Je suis comme tout le monde. Je vis des événements compliqués, je vois le malheur autour de moi, je ne m’isole pas dans une bulle ! Mais je suis quelqu’un d’optimiste et de positif. Je vois le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Et j’ai la chance d’avoir ce recul pour être assez serein sur la vie. 

(1) Eté 1997, à tout juste 20 ans, Fabien Marsaud, animateur dans une colonie de vacances, heurte le fond d’une piscine. Il se fracture une vertèbre cervicale et devient tétraplégique. Les médecins diagnostiquent une probable paralysie à vie. Il se reconstruit et se lance dans le slam, sous le nom de Grand Corps Malade. (2) Patients de Grands Corps Malade Editions Don Quichotte 2012 - Points 2014

"Patients", le premier film de Grand corps malade

Un film de Grand Corps Malade et Mehdi Idir avec Pablo Pauly, Soufiane Guerrab, Moussa Mansaly, Nailia Harzoune, Franck Falise, Yannick Renier, Dominique Blanc, Anne Benoît. 
Sortie nationale : le 1er mars