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Journée des droits de l'enfant : la situation à Mayotte

À l’occasion de la journée internationale des droits de l’enfant ce 20 novembre, zoom sur la situation à Mayotte. Interviews de Baptiste Cohen, directeur d'Apprentis d'Auteuil Océan Indien et de Régine Le Men, directrice d’Apprentis d'Auteuil Mayotte.

Quelle est la situation des droits de l’enfant à Mayotte ?

Baptiste Cohen / Apprentis d'Auteuil
Baptiste Cohen / Apprentis d'Auteuil

Baptiste Cohen : Avant de répondre à cette question, il faut d’abord donner quelques éléments d’éclaircissements sur le contexte si particulier de cette île. A Mayotte, la population locale est composée d’un peuple issu de l’archipel des Comores dont l’une des îles (Mayotte), a fait le choix au fil des referendums de ne pas devenir indépendante et de rester au sein de la France. En 2011, Mayotte est devenu le 101e département de France et son cinquième département d’Outre-mer. La population initiale est d’origine comorienne, musulmane et a des habitudes de vie qui peuvent paraître éloignées de celles de la République. D’autre part, le fait d'être devenu un département de la République implique que le droit français s’applique désormais à Mayotte comme sur le reste du territoire. Il y a donc des tensions inhérentes à l’histoire de ce territoire, en plus des tensions actuelles liées aux conditions sociales et aux migrations économiques.

Quel est le contexte en matière de droits de l’enfant ?

Régine Le Men : Ce qui saute aux yeux lorsque l'on arrive à Mayotte, c'est l’extrême jeunesse de la population : 70% des habitants sont âgés de moins de 25 ans ! Il y a donc un manque criant d'établissements scolaires pour pouvoir accueillir tous ces enfants. Le nombre d’enfants non scolarisés est aussi beaucoup plus important qu’en métropole. Pour ceux qui le sont, ils se retrouvent dans les établissements parmi les plus grands de France, avec par exemple des collèges de plus de 1700 élèves ! Cela se traduit donc par des conditions de travail difficiles pour les élèves et pour les enseignants.
Baptiste Cohen :  Il faut dire également que l’école, telle que nous l’envisageons en métropole, ne signifie rien de particulier pour beaucoup de familles de Mayotte car elles-mêmes n’ont pas été scolarisées à l'école de la République. D’autre part, Mayotte doit faire face à une immigration importante venue des Comores. Les migrations sont à la fois économiques et sociales mais elles sont venues s’ajouter à des causes culturelles et historiques qui préexistaient. Car les migrations entre les quatre îles de l’archipel des Comores existaient bien avant que l’île ne devienne un département français. Les familles des Comores ne viennent donc pas uniquement à Mayotte pour bénéficier des allocations comme on l'entend trop souvent !

Que fait Apprentis d’Auteuil à Mayotte ?

Le lycée d'enseignement adapté d'Apprentis d'Auteuil Mayotte / photo JP Pouteau
Le lycée d'enseignement adapté d'Apprentis d'Auteuil Mayotte / photo JP Pouteau

Baptiste Cohen  : Nous avons trois types d’activités. Un collège-lycée qui accueille 220 élèves de la 6e à la 3e en classes Segpa (Sections d'enseignement général et professionnel adapté) et en CAP. Ces élèves présentent un retard scolaire important. Par ailleurs, nous avons un service d'accueil pour des enfants non scolarisés âgés de 6 à 16 ans. Nous allons à la rencontre de ces enfants des rues ou de ces mineurs non accompagnés, dans les quartiers ou dans les bidonvilles grâce à des maraudes sociales. Nos éducateurs leur proposent de venir deux ou trois fois par semaine dans un centre de préscolarisation. Là-bas, ils ont accès à des préapprentissages scolaires de base pour ces enfants dont le français n'est pas la langue maternelle. Ils font ensuite des tests qui leur permettent, après plusieurs mois, d'intégrer un circuit scolaire classique. Enfin, nous faisons de la formation continue pour adultes dans le domaine de la restauration, des services à la personne et de la lutte contre l'illettrisme pour la maîtrise des savoirs de base. Nous avons aussi des formations pour les NEET, des jeunes de 16 à 25 ans, qui ne sont ni en emploi, ni en formation.

Et spécifiquement en matière de droits de l'enfant ?

Baptiste Cohen : Notre action à Mayotte est centrée sur l'éducation scolaire mais aussi sur les savoir-faire et savoir-être. Nous sommes un établissement de l'enseignement catholique, par sa mission de service éducatif et social, mais nous accueillons quasiment 100% d'élèves musulmans. L'engagement d'Apprentis d'Auteuil en matière de droits de l'enfant à Mayotte est d'offrir à chaque jeune, quel que soit son âge, son origine, son destin, l'accès à l'instruction et aux apprentissages. Pour respecter ce droit fondamental, nous proposons à chaque enfant la prise en compte de son rythme, le respect de son histoire, de sa religion, de sa culture. Nous respectons profondément leur religion même si nous n'avons pas d'activités d'instruction religieuse. Nous valorisons aussi les langues locales grâce au chant, à la musique.  Nous respectons ce droit essentiel à découvrir des apprentissages adaptés à leur âge. Nous appliquons donc là-bas les mêmes règles qu'en métropole. Nous n'avons pas un projet éducatif spécifique pour Mayotte mais un projet Apprentis d'Auteuil adapté à la culture, au contexte économique et social avec la même qualité de prestations et d'encadrement qu'en métropole.

Régine Le Men : Le 20 novembre, les enseignants du collège font tout un travail sur les droits de l'enfant et sa Convention internationale. C'est un travail très important car les enfants de Mayotte connaissent très peu ces droits par le simple fait qu'ils sont souvent éloignés de l'école.
Respecter les droits de l'enfant, cela se traduit aussi par la prise en compte des besoins vitaux de certains élèves. Au LEA (lycée d'enseignement adapté), les jeunes arrivent dès 5h30/6h du matin. Nous leur proposons de prendre une douche et un petit-déjeuner parce qu'ils ne peuvent pas le faire chez eux. Nous leur offrons donc les conditions minimums pour qu'ils puissent apprendre. Nous œuvrons aussi avec d'autres associations, comme le Secours catholique ou le Rotary club, pour leur apporter de l’aide alimentaire, des vêtements... Au LEA, nous avons également un internat qui accueille des jeunes filles volontaires pour aller à l'école mais qui vivent chez elle dans des conditions très rudimentaires et ne pourraient pas suivre une scolarité normale sans cet hébergement en internat. Avoir un toit au-dessus de sa tête, bénéficier d'au moins un repas par jour et avoir accès à l'instruction fait partie des droits fondamentaux auxquels chaque enfant devrait avoir accès.
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