Photo ©Archives historiques/Apprentis d'Auteuil
Vie de la fondation

1866 : l'abbé Roussel s'installe à Auteuil

Le 19 mars 1866, l'abbé Louis Roussel s'installe au 40 rue La Fontaine, à Auteuil, avec six gamins des rues, dans une masure délabrée. Premier volet sur l'histoire d'une œuvre consacrée à l'enfance en difficulté.

L'abbé Roussel et des jeunes de l'Œuvre de la Première Communion

Sur le terrain envahi par les ronces, une maison à colombages, qui a visiblement connu des jours meilleurs. La toiture fuit, les vitres sont cassées, les planchers menacent de s’effondrer, les mauvaises herbes et la poussière règnent en maîtres. Dans ce quartier d’Auteuil, le voisinage s’est habitué à cette villa abandonnée. Quelle surprise pourtant quand, le 19 mars 1866, l’abbé Louis Roussel s’y installe avec six jeunes des rues qu’il a pris sous son aile : François Morel, Baptiste Ravard, Paul Dorge, Emile Gillet, Louis Hervelin, Georges Cheney. Son but ? Leur apprendre les bases du catéchisme, la lecture, l’écriture, le calcul, et les mener en trois mois à la première communion. Tout le monde se mobilise. On apporte à l’abbé matelas, couvertures, vêtements, nourriture… La grande aventure d’Apprentis d’Auteuil commence avec cette première initiative, baptisée Œuvre de la Première Communion.

Les temps héroïques

Un enfant accueilli en 1892. ©Archives historiques/Apprentis d'Auteuil

Retour quelques années en arrière. Louis Roussel, orphelin de père à 10 ans, a été élevé par un de ses oncles prêtre. Jeune adulte, sa vocation s’affermit auprès de l’abbé Desgenettes, curé de Notre-Dame des Victoires à Paris. Il est ordonné prêtre en 1854.
Dans la paroisse de Grenelle confiée aux frères de Saint-Vincent-de-Paul, il mûrit son projet de se consacrer à la jeunesse démunie. Il ne peut supporter la vue de ces gamins battant le pavé parisien, avec pour toute perspective, la misère, l’exploitation, la prison - la Petite Roquette où les enfants sont enfermés jusqu’à leur majorité - pour vol ou vagabondage. À cela, une raison majeure : l’assistance publique cesse de prendre en charge les garçons à partir de 12 ans. Ils se retrouvent à la rue, livrés à eux-mêmes. Car à l’époque, l’écrasante majorité des institutions charitables est dédiée aux filles (126 pour les filles et 16 pour les garçons).
Poussées par la nécessité, des familles entières quittent les campagnes pour trouver un emploi à Paris. L’abandon d’enfant atteint des proportions effroyables. Les premiers protégés de l’abbé Roussel sont accueillis à Grenelle, jusqu’à ce qu’il obtienne de son évêque, Mgr Darboy, la permission de fonder son œuvre d’évangélisation, et les 2000 francs nécessaires à la location d’une maison. Ce sera le 40 rue La Fontaine, dans le quartier d’Auteuil à Paris.

Un précurseur en pédagogie

Jeunes haltérophiles époque Roussel. ©Archives historiques/Apprentis d'Auteuil

Les journées des enfants et de l’abbé sont bien remplies par les enseignements et la prière. Mais pas seulement : Louis Roussel a déjà une vision claire de la pédagogie qu’il veut mettre en place. Il institue des récréations toutes les heures - car les enfants ont du mal à se concentrer plus longtemps – incite les jeunes à faire du sport, de la musique… « C’est la gymnastique qui est le fond des délassements ordinaires de nos jeunes apprentis, et nous croyons qu’il n’en existe pas de plus salutaires.(…) Mais nous ne proscrivons pas les autres divertissements. » Un principe régit le fonctionnement : « Nul n’est gardé de force ».
D’année en année, le nombre des pensionnaires de l’abbé Roussel s’accroît. Ils viennent d’eux-mêmes, car la réputation de l’œuvre grandit, sur demande de la préfecture de police qui préfère cette solution à la prison, ou même, y sont emmenés par un membre de leur famille. Le roulement est important, car une fois faite leur première communion, les enfants quittent les lieux au bout de trois mois. L’abbé Roussel doit s’appuyer sur des « sociétés de patronage et des personnes charitables et placer les enfants en apprentissage dans des ateliers où ils pourraient acquérir la pratique d’un métier », explique l’écrivain Maxime Ducamp, un des premiers bienfaiteurs.

La création des ateliers

Atelier de cordonnerie en 1871. © Archives historiques/Apprentis d'Auteuil

En 1870, la guerre éclate entre la France et la Prusse, jetant des milliers d’orphelins dans les rues. La situation financière de l’œuvre est fragile. L’abbé Roussel lance une première souscription dont le succès lui permet d’acquérir la maison du 40 rue La Fontaine, des terrains et de construire de nouveaux bâtiments. En 1871, c’est la Commune qui ensanglante Paris. Louis Roussel place les enfants à la campagne chez un oncle prêtre, puis le calme revenu, les rapatrie et crée les premiers ateliers de cordonnerie et de taillerie. C’est une intuition fondatrice qui pose les bases de la future fondation : l’éducation alliée à la formation. Il l’explique ainsi : « Nous n’avons été amenés à créer notre école professionnelle que par la crainte de rejeter nos premiers communiants aux dangers de la rue. »
Quand, épuisé par sa tâche et les soucis, il se retire à l’orphelinat de Billancourt, il sait que la congrégation des frères de Saint-Vincent de Paul prendra le relais. Cette forte personnalité, qui a toujours montré son indépendance, s’éteint en 1897.